Observations du Syndicat de la magistrature remises au Sénat lors de l'audition du 8 juin 2016

Le Syndicat de la magistrature revendique une réforme d’ampleur de l’ordonnance du 2 février 1945, qui redonnerait sa spécificité à la justice des mineurs, remettrait la dimension éducative au centre des dispositifs pénaux, s’appuyant sur des outils diversifiés et financés en marginalisant l’enfermement.
A défaut d’opérer une vraie rupture avec l’évolution sécuritaire des dernières années, le projet de réforme de 2015 présentait une certaine cohérence notamment en généralisant le dispositif de la césure. Au contraire, le saupoudrage de dispositions introduites par voies d’amendements dans le au projet de loi « Justice du XXIème siècle », est loin de répondre aux attentes d’un projet ambitieux pour la justice des enfants et des adolescents.

Sur la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs
Le projet de loi prévoit la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs (TCM).
Créés en 2011, ils avaient gravement mis à mal le principe de spécialisation de la justice des mineurs, consacré dans l’ordonnance de 1945 et ayant valeur constitutionnelle depuis 2002.
Demandée avec force depuis lors par le Syndicat de la magistrature, la suppression de ces juridictions intégrant des magistrats non spécialisés dans des compositions ayant à connaître des infractions commises par des mineurs, doit être adoptée, afin de restaurer la spécialisation de la justice des enfants et des adolescents et de rompre avec le fantasme entretenu d’une justice trop indulgente pour les mineurs. C’est ce dernier présupposé qui présidait hier à sa création et - sans craindre le paradoxe - aujourd’hui à sa suppression, le gouvernement estimant que les peines prononcées par ces juridictions ne sont pas plus sévères et que le du temps de travail des magistrat non spécialisé pourrait ainsi être économisé.
Si les TCM doivent être purement et simplement supprimés, il convient d’attirer l’attention sur les dispositions transitoires contenues dans l’article 14 sexies (point 17) du projet de loi réglant le sort des dossiers déjà renvoyés devant le TCM ou en cours de renvoi au moment de l’entrée en vigueur de la loi.
Il est prévu que ces dossiers seront systématiquement renvoyés devant le tribunal pour enfants (TPE). Or rien ne justifie un tel renvoi automatique, même de manière temporaire, vers le tribunal pour enfants, plus sévère que le régime actuel.
En effet, actuellement le renvoi automatique d’un mineur devant le TCM doit s’effectuer dès lors que le mineur encourt une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans. Pour le renvoi automatique d’un mineur devant le TPE, la peine d’emprisonnement encourue doit être supérieure ou égale à sept ans. Le renvoi automatique des dossiers du TCM vers le TPE doit donc être écarté des dispositions transitoires, comme tout renvoi automatique, qui consiste à concentrer l’attention sur la peine encourue pour le choix du renvoi et non sur la personnalité et l’évolution du mineur.
Pour le Syndicat de la magistrature, le renvoi devrait donc de nouveau être possible devant le juge des enfants statuant en chambre du conseil.
En conséquence, il convient de prévoir que les dossiers déjà renvoyés devant le tribunal correctionnel pour mineurs à la date de la publication de la loi reviennent, concernant tant les mineurs que les majeurs, devant le juge qui a ordonné le renvoi, juge des enfants ou juge d’instruction, afin qu’il réoriente le dossier devant la juridiction de jugement de son choix.
Cumul des mesures éducatives et des peines au stade du jugement
Le projet de loi prévoit d’étendre la possibilité pour le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs de cumuler le prononcé d’une peine et d’une mesure éducative. Constituant une régression dans l’ordonnance de 1945, cette possibilité existe déjà mais de manière résiduelle.
Consacrer le cumul des mesures éducatives et des peines au stade du jugement en élargissant les possibilités de cette combinaison aura pour effet de tirer la réponse pénale vers le champ de la peine. Au lieu de revenir sur les possibilités extrêmement larges pour les tribunaux pour enfants de prononcer des peines à l’égard des mineurs dès treize ans, le texte entérine cette évolution.
Concrètement, contrairement à l’effet en apparence attendu – affiché ? - d’ajouter de l’éducatif et de simplifier l’action des tribunaux pour enfants, le choix d’une peine sera d’autant plus banalisé - et de fait peu à peu généralisé contre l’esprit de l’ordonnance de 1945. La dimension éducative pouvant être ajoutée comme un vernis par le prononcé simultané d’une mesure éducative, ce dispositif aura pour effet mécanique de conduire à prononcer davantage de peines au détriment des mesures éducatives.
Privilégier l’éducatif nécessite de repenser la nature et l’échelle des peines pour les mineurs, actuellement calquée sur celles des majeurs.
Toute réforme de la justice pénale des mineurs doit réaffirmer le principe du primat de l’éducatif. Cela va de pair avec une revalorisation des mesures éducatives, qui ne dépend d’ailleurs pas tant de la loi que des moyens affectés à la protection judiciaire de la jeunesse pour la mise en œuvre de ses missions et priorités.
Le Syndicat de la magistrature ne peut donc souscrire à la consécration de ce cumul.
En conséquence, il soutient qu’il ne faut pas modifier l’article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 et renoncer en conséquence à la suppression du 1er alinéa de l’article 19.
Concernant la cour d’assises des mineurs, il est à noter que le projet prévoit la possibilité de prononcer une mesure de mise sous protection judiciaire si une peine n’est pas prononcée, ce qui constitue une avancée au regard de la dimension éducative de cette mesure, permettant la mise en oeuvre de plusieurs outils éducatifs pouvant aller au delà de la majorité.
Sur la modification de l’article 20-10 de l’ordonnance de 1945
Les nouvelles dispositions ne modifient pas les conditions de prononcé d’un placement en centre éducatif fermé, ni ne réduisent sa portée alors que ce type de placement dans une structure fermée au statut juridique hybride, accaparant nombre de financements au détriment des mesures en milieu ouvert, doit être marginalisé.
Sur l’interdiction de l’emprisonnement à perpétuité pour les mineurs
Cette disposition est une avancée à laquelle le Syndicat de la magistrature souscrit pleinement.
Cependant, pour qu’elle soit efficiente, il est nécessaire de modifier les termes de l’alinéa 2 de l’article 20-2 de l’ordonnance de 1945 qui permet de déroger aux dispositions de l’alinéa 1 qui maintient la possibilité de déroger à l’excuse de minorité et donc de prononcer une durée de peine encourue pour les majeurs, à temps ou à perpétuité.
Cette dernière doit disparaître tant en matière criminelle qu’en matière correctionnelle. D’une part, car cette possibilité de déroger, au stade du jugement, au principe de la réduction de moitié de la peine d’emprisonnement encourue pour les mineurs, est une atteinte au principe de légalité des peines, qui, même si malmené, constitue encore un des grands principes du droit pénal. En effet, pour les mineurs, la peine encourue ne découle pas uniquement de l’infraction poursuivie mais dépend des « circonstances de l’espèce », de la « personnalité » ou de la « situation » du mineur, telles qu’appréciées par la juridiction de jugement. Rien ne justifie qu’une telle atteinte soit portée aux droits des justiciables mineurs.
D’autre part, la spécificité de la justice des mineurs, ayant valeur constitutionnelle, ne doit souffrir aucune exception. L’idée qu’un enfant ou un adolescent est toujours un être en construction susceptible d’évolution, quelle que soit la gravité des faits commis, irrigue toute la justice des mineurs. Aucune nouvelle donnée scientifique, sociologique, psychologique ne justifie de remettre en cause ce postulat.
Le maintien du deuxième alinéa en l’état risque d’entretenir des difficultés d’interprétation. Afin de lever toute ambiguïté, il y a lieu de modifier l’alinéa 2 de l’article 20-2 et d’exclure la perpétuité du champ de la dérogation à l’excuse de minorité.

Sur l’assistance obligatoire de l’avocat en garde à vue
Cette disposition introduisant l’intervention obligatoire de l’avocat lors de la garde à vue d’un mineur doit être soutenue, la situation actuelle entérinant un régime de privation de liberté comparable à celui des majeurs. Si elle ne revoit pas en profondeur le régime de la garde à vue des mineurs et notamment pour celle de ceux qui sont âgés de 16 à 18 ans, dont le régime est quasiment identique à celui des majeurs, elle rappelle que le mineur est un gardé à vue encore plus vulnérable que les autres.
A ce titre, l’intervention obligatoire d’un médecin prévue pour les 13-16 ans devrait être étendue aux mineurs âgés de 16 à 18 ans et l’article 4 en conséquence modifié.

Sur le rétablissement de la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement en cabinet
A l’occasion de cette nouvelle disposition, l’Assemblée nationale a introduit dans l’article 5 de l’ordonnance de 1945 la référence aux contraventions de cinquième classe. Aucune modification de fond, ces infractions étant déjà de la compétence du juge des enfants. Le législateur ne revient pas sur une des nombreuses entorses à la spécialisation de la justice des mineurs, résidant dans la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes.
Le projet de loi rétablit quasiment à l’identique les termes de l’article 5 de l’ordonnance et l’ancien article 8-1 qui prévoyaient que l’officier de police judiciaire pouvait délivrer une convocation devant le juge des enfants, aux fins de jugement ou de mise en examen.
La convocation par officier de police judiciaire (COPJ) aux fins de jugement devant le juge des enfants, supprimée en 2011, avait démontré qu’elle était adaptée à certaines situations marginales, concernant des enfants dont la situation familiale, l’évolution étaient connues du juge des enfants, et pour des faits mineurs ou anciens.
Cependant, il est nécessaire de rappeler que l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945 consacrait une temporalité spécifique à la justice des mineurs – excluant la rapidité comme fin en soi et, avec elle, les formes de répression immédiate - conçue comme nécessaire à « une enquête approfondie sur le compte du mineur, notamment sur la situation matérielle et morale de la famille, sur le caractère et les antécédents de l’enfant » et permettant à l’enfant ainsi accompagné de comprendre son acte, de mûrir, d’évoluer.
Or la COPJ est une procédure liée, par nature, au traitement en temps réel qui conduit à une prise en compte partielle des situations, focalisée trop souvent sur la nature des faits et non sur la personnalité du mineur ou les mesures éducatives déjà en cours. Le recours à cet outil procédural, préjudiciables à une complète et exacte évaluation de la situation, aggravé par le contexte de pénurie de moyens, nuit ainsi à la qualité du travail du parquet comme du juge.
Dans un projet de réforme qui n’assume pas le choix de généraliser la procédure de césure, le retour de la COPJ aux fins de jugement en chambre du conseil n’apporte pas d’amélioration significative au dispositif actuel.
Par ailleurs, dans un contexte de pénurie des moyens, l’usage de ce mode de saisine réduit plus encore la possibilité pour le juge des enfants de maîtriser son audiencement et d'ajuster ainsi au mieux les modalités de la réponse judiciaire en fonction de l’évolution du mineur sans faire de l’assistance éducative la variable d’ajustement.

Allongement du délai d’ajournement de six mois à un an maximum
Le Syndicat de la magistrature est favorable à la généralisation de la procédure de césure du procès pénal, telle qu’incluse et repensée dans le projet de réforme de la justice pénale des mineurs. Très peu utilisée, cette procédure retire au juge des enfants sa compétence d’instruction des affaires tout en maintenant le principe de deux audiences séparées dans le temps. Ce système ménage tout à la fois la nécessité d’une prise en charge dans la durée et la continuité de l’action du juge des enfants, tout en résolvant la question de l’impartialité. Ce n’est pas le choix consacré par le présent texte, qui se borne à modifier à la marge le délai d’ajournement prévu pour cette procédure.

L’allongement du délai d’ajournement prévu actuellement par l’article 24-5 de l’ordonnance du 2 février 1945 est certes un premier pas, actant la temporalité spécifique de la justice pénale des enfants et adolescents. Cependant, sa limitation à six mois renouvelables une seule fois n’a de sens que si les services des tribunaux pour enfants sont dotés de moyens significatifs pour mettre en oeuvre cette procédure.
En tout état de cause, l’abandon de la généralisation de la césure, prive en partie d’intérêt cette nouvelle disposition.
Autorisation pour le juge et le tribunal pour enfants d’avoir recours à la force publique pour mettre à exécution des placements prononcés au pénal
Aujourd’hui, le parquet a déjà la possibilité d’ordonner le recours à la force publique pour exécuter un placement pénal. La proposition d’étendre cette possibilité au juge des enfants n’est porteuse ni de sens, ni d’efficacité.
Si la mise en œuvre de certaines mesures de placement se révèle difficile lorsque le mineur s’y oppose la solution n’est pas le recours à la force publique mais bien le renforcement des moyens donnés aux services éducatifs.
Au-delà de la stigmatisation générée par de telles démonstrations de force, accompagner un adolescent dans une structure où il reste libre implique que son arrivée ne soit pas contrainte physiquement. Pour s’exécuter dans la durée, un placement doit surtout être le fruit d’une contrainte intégrée légitimée par ceux qui la prononcent et l’exécutent. Aujourd’hui, en raison de choix budgétaires privilégiant les structures fermées au détriment du développement des services de milieu ouvert, l’exécution de la majorité des placements se déroule en présence d’un seul éducateur.
Pour favoriser l’exécution d’un placement prononcé au pénal, il est nécessaire de garantir un accompagnement à la fois cadrant et bienveillant assuré par une équipe éducative, en mesure d’exercer ses missions.
Pour des développements sur le projet de réforme pénale des mineurs, nous renvoyons à nos observations du 5 février 2015.