Madame la garde des Sceaux,
Dans un courrier commun avec le Syndicat des avocats de France du 23 octobre dernier, nous vous demandions de faire retirer des salles d’audiences correctionnelles les box fermés par des panneaux de verre, voire des barreaux de métal, dans lesquels prévenus et accusés comparaissent. Nous dénoncions leur installation dans de nombreuses juridictions, parfois nuitamment, sans aucune concertation préalable ni avec le barreau, ni avec les magistrats et les fonctionnaires.
Ces éléments « d’architecture » entravent l’accès du justiciable à ses juges, la communication avec son conseil et portent des atteintes graves à la dignité et à la présomption d’innocence. Ils consacrent la transformation des tribunaux en bunkers, déshumanisant tant les professionnels que les justiciables et instillant la présomption d’une dangerosité de ces derniers.
Ce qui était autrefois la règle - un prévenu détenu qui comparait à la barre face à ses juges et peut s’expliquer en leur parlant directement, son avocat à ses côtés - est devenu quasiment impossible au fil des années, la diminution des personnels des escortes allant de pair avec l’idée que la comparution dans un box serait la règle et non l’exception.
Le mouvement de protestation de décembre dernier initié par le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature a porté ses fruits. Réagissant aux décisions de magistrats qui, d’initiative ou saisis par la défense, ont usé de leur pouvoir juridictionnel ou de police de l’audience pour faire comparaître les personnes à la barre et à l’assignation de l’Etat pour faute lourde par plusieurs organisations et syndicats d’avocats en raison de la construction de ces box, vous avez décidé le 22 décembre dernier d’en suspendre la construction et d’effectuer un état des lieux des équipements déjà installés. Les conditions de ces consultations paraissent cependant – une fois n’est pas coutume – obscures, plusieurs collègues présidents d’audience, principaux concernés pour décrire les effets de ces box sur la conduite des débats, nous indiquant ne pas avoir été interrogés.
Depuis, dans certaines juridictions, la hiérarchie judiciaire, habituellement moins prompte à réagir aux difficultés matérielles quotidiennes, a fait effectuer des travaux. Les aménagements réalisés en urgence afin d’améliorer l’acoustique dans ces cages et l’arrêt des constructions ne règlent ni le sort de celles qui existent déjà, ni la question fondamentale du droit au procès équitable et de la qualité des débats dans l’enceinte judiciaire.
Une meilleure sonorisation des box ne saurait ainsi constituer une réponse aux problèmes posés en termes de droits de la défense, de dignité de la personne et de procès équitable. Les avocats ne peuvent toujours pas communiquer avec leurs clients de manière confidentielle ni être présents physiquement à leurs côtés. Il en est de même pour les interprètes. Les obstacles visuels subsistent, tant pour les avocats que pour les magistrats. Enfin, s’agissant des box qui ne disposent pas d’ouverture sur la salle, de sérieux problèmes de sécurité continuent de se poser, tant pour les détenus que pour les personnels des escortes. Ces configurations ne permettent pas au président d’audience de faire sortir la personne comparante du box autrement qu’en passant par l’extérieur de la salle.
Le principe selon lequel toute personne prévenue ou accusée a vocation à comparaître à la barre – expressément posé concernant la cour d’assise dans le code de procédure pénale – doit pourtant être réaffirmé. Lorsque des circonstances particulières l’exigent, la comparution dans le box ne peut avoir lieu que si aucune vitre n’est érigée entre lui et la formation de jugement et aucun grillage au dessus du box.
Nous vous demandons donc de procéder à l’arrêt définitif de la construction de telles cages et au démontage des vitres – à tout le moins celle qui se situe devant le prévenu. Tous les box devront comporter une ouverture sur la salle d’audience. Quant aux cages comportant des barreaux de fer, elles font directement encourir à la France une condamnation par la CEDH, à l’instar des décisions déjà prises par cette juridiction concernant les box en Russie. Elles doivent ainsi être entièrement démontées.
L’apaisement et la sérénité des débats qui découlent de la comparution - sans contorsion - du prévenu face à ses juges, principe appliqué depuis toujours jusqu’à ces dernières années, participent de la sécurité de tous. Des juridictions continuent d’ailleurs de juger les prévenus à la barre sans que cela n’occasionne ni insécurité, ni problèmes d’organisation des escortes. Ces box n’ont en réalité qu’un seul objectif : faire, une fois de plus, des économies de personnel au détriment des droits des personnes.
Nous refusons, Madame la ministre, que la justice soit rendue ainsi, en somme par hygiaphone.
Compte tenu de l’importance qui s’attache pour tous au respect de l’accès à la justice, vous comprendrez que nous rendions ce courrier public.
Nous vous prions d’agréer, Madame la garde des Sceaux, l’expression de notre considération distinguée.
Le courrier est à télécharger en pièce jointe.

Box fermé dans les salles d'audience : notre courrier à la garde des Sceaux (74.09 KB) Voir la fiche du document