Le Conseil Constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 222-23 du code pénal par sa décision en date du 4 mai 2012 estimant que cet article « permettait que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ».

Le Syndicat de la magistrature ne s’est pas étonné d’une telle décision puisqu’une motion du congrès syndical de novembre 2004 relevait : « il n’est plus nécessaire de caractériser le harcèlement sexuel par des pressions ou par l’ascendant de l’auteur sur la victime. La suppression de ces éléments constitutifs de l’infraction ne permet plus de distinction claire entre le permis et l’interdit. L’aléa jurisprudentiel est porté à l’extrême. Le principe de légalité des délits et peines commande de prévenir cette dérive, au minimum en caractérisant l’infraction par des ordres, menaces, contraintes ».

Il est aujourd'hui indispensable de tirer les conséquences de cette décision et urgent de répondre au désarroi compréhensible qu’elle a suscité chez les plaignantes en raison du vide juridique ainsi créé : comme nous avons souvent tenté de l’expliquer ces dernières années, la législation doit être précise, tout particulièrement en matière pénale, pour éviter l’insécurité juridique dont on voit aujourd’hui les effets pervers pour les victimes.

Le projet de loi déposé porte la marque de ce travail de réflexion nécessaire, ce dont nous nous réjouissons, et nous paraît répondre à un certain nombre des questions soulevées depuis la décision du Conseil Constitutionnel, notamment devant le groupe de travail du Sénat qui nous a entendus le 31 mai dernier.

Pour autant, il ne résoudra pas définitivement et totalement, compte tenu de la matière traitée, le problème délicat de la preuve ; par ailleurs, l’infraction assimilée prévue par l’article 222-33-II peut comporter le risque de créer une incrimination atténuée de l’agression sexuelle, avec pour conséquence de minimiser l’atteinte subie par la victime.

Plus globalement, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence de la seule réponse pénale à un certain nombre de comportements.

La définition du harcèlement sexuel

La définition proposée par l’article 222-33-I « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant , soit créent à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant » nous paraît pertinente.

Si elle s’inspire de la définition découlant des directives européennes, en ce qui concerne la perception que peut en avoir la victime, elle exige des éléments de fait précis pour que l’infraction soit constituée - « imposer des propos, comportements ou actes » - et de ce fait répond au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Pour autant, il n’est plus exigé que l’auteur de l’infraction ait pour but d’obtenir des « faveurs sexuelles », ce qui paraît souhaitable compte tenu des difficultés pour rapporter la preuve d’une telle intention ; cette définition permet en outre d’incriminer des comportements n’ayant pas nécessairement pour objet d’obtenir un rapport ou une relation sexuelle de quelque nature que ce soit.

L’élément intentionnel de l’infraction est à rechercher dans le comportement de l’auteur et non dans le but poursuivi ; et il suffit que ce comportement ait eu pour effet d’humilier, d’offenser ou d’intimider la personne pour que l’infraction soit caractérisée.

Cette définition inclut enfin l’exigence de répétition, ce qui découle de la notion même du harcèlement : c’est la répétition de comportements ou de propos déplacés qui leur donne un caractère intentionnel et humiliant pour la victime.

Les différentes circonstances aggravantes prévues, (abus d’autorité, minorité ou caractère vulnérable de la victime, pluralité d’auteurs) nous semblent également pertinentes et ne doivent effectivement pas être incluses dans la définition même du harcèlement, comme c’était le cas initialement de l’abus d’autorité.

Le texte reprend de fait les circonstances aggravantes prévues pour les autres délits sexuels.

Un amendement de la commission des affaires sociales propose d’envisager aussi l’hypothèse de la vulnérabilité économique et sociale de la victime comme circonstance aggravante ; compte tenu du contexte dans lequel cette infraction est souvent dénoncée (relations de travail, recherche d’emploi, de logement, …), cette proposition nous apparaît devoir être prise en compte, la situation économique et sociale précaire et/ou difficile d’une personne la rendant d’autant plus vulnérable à ce type de pressions.

Un autre amendement propose de retenir la minorité de la victime comme circonstance aggravante, indépendamment de son âge. Ceci ne paraît pas nécessairement utile car dès lors que des mineurs sont victimes, la circonstance aggravante d’abus d’autorité pourra le plus souvent être relevée (milieux éducatifs scolaires, sportifs..) ; par ailleurs, il ne nous apparaît pas souhaitable de créer une incohérence législative, puisqu’en matière d’agression sexuelle, la circonstance aggravante n’existe que pour les mineurs de moins de 15 ans.

L’infraction assimilée

L’infraction assimilée telle que définie par l’article 222-33-II (« est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle que celle-ci soit recherchée au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers «) entraînera certainement beaucoup plus de difficultés d’application.

On comprend bien l’intention du législateur visant à réprimer un fait isolé profitant d’un rapport de force, quelle que soit sa nature, à l’occasion par exemple d’un entretien d’embauche ou d’une recherche de logement, pour tenter d’obtenir une relation sexuelle.

Outre les problèmes importants de preuve qui ne manqueront pas de se poser, on peut s’interroger sur le pluriel exigé en matière de « contraintes ». Le singulier – qui est retenu pour l’agression sexuelle - nous paraîtrait mieux convenir au rapport de force visé plus haut, quelle que soit son origine, sans qu’il y ait peut-être à exiger une menace précise (tel qu’un licenciement). Un salarié peut ainsi redouter de perdre son emploi sans que cela ait été expressément formulé.

Un amendement de Mme Dini, sénatrice, propose de remplacer « une relation de nature sexuelle » par « tout acte de nature sexuelle », ce qui permet de prendre en compte les simples contacts physiques destinés à assouvir un fantasme sexuel ou à éveiller un désir sexuel ; cet élargissement de la définition permet de prendre en compte des situations relevées en jurisprudence et apparaît donc souhaitable.

Enfin le rapport de la commission du Sénat suggère d’étendre les cas de responsabilité pénale des personnes morales pour des infractions commises par leurs représentants (prévue aujourd’hui par l’article 222-33-1 notamment pour les viols et agressions sexuelles)au harcèlement. Cette extension pourrait être un outil de sensibilisation des employeurs à l’absolue nécessité de lutter contre le harcèlement dans l’entreprise par l’établissement d’un certain nombre de règles internes.

Le problème essentiel restera toutefois la difficulté d’apporter la preuve d’un tel fait isolé qui se déroulera bien évidemment sans témoin.

Comme le relèvent certaines associations de victimes, la création de cette infraction pourrait en outre avoir des effets pervers : là où on aurait relevé jusqu’ici une tentative d’agression sexuelle, le parquet pourrait choisir l’incrimination de harcèlement sexuel. En effet, chaque fois que les « ordres, menaces, contraintes » ne seront pas accompagnés de gestes ou d’attouchements imposés à l’autre, la frontière entre les deux infractions sera ténue.

Cependant la création de cette infraction a précisément pour mérite d’inclure les situations où l’auteur exerce une forme de pression, sans avoir accompli ou tenté d’accomplir un geste pénalement répréhensible ; on se situe dans l’intention et non dans le commencement d’exécution. Il sera donc important que les magistrats soient rigoureux et n’utilisent pas ce texte pour qualifier des tentatives d’agressions sexuelles.



Les limites de la pénalisation des comportements

Quelle que soit la pertinence du texte qui sera voté, les personnes victimes de harcèlement se heurteront toujours à d’importants problèmes de preuve, puisque toute procédure pénale doit être menée dans le respect du principe de la présomption d’innocence - principe essentiel s’il en est en démocratie – ce qui implique que la preuve devra être rapportée par l’autorité de poursuite du comportement fautif allégué.

L’étude des législations comparées effectuée par le Sénat dans douze pays dont neuf de l’UEE montre que les définitions du harcèlement sexuel sont souvent incluses dans des textes sur la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations notamment au travail et ne sont que rarement insérées dans le code pénal, ce qui doit susciter notre réflexion.

En matière de droit du travail, on peut faire un parallèle avec le harcèlement moral qui peut être plus facilement démontré dans le cadre de litiges relatifs au contrat de travail : le demandeur doit fournir un certain nombre d’éléments (certificats médicaux, attestations...) qui pourront, le cas échéant, être contredits par l’employeur, le juge prud’homal se forgeant une conviction à partir de ce débat. Dans ce cadre, l’utilisation de la voie civile peut avoir plus de chances d’aboutir pour la victime de harcèlement moral qu’une plainte pénale.

Il y aurait à étudier la façon dont d’autres pays traitent par la voie civile la question du harcèlement sexuel comme au Canada par la commission canadienne des droits de la personne qui examine les cas de discrimination qui lui sont transmis, ou aux Pays- Bas où la loi sur l’égalité de traitement et le code civil permettent à la victime de harcèlement sexuel d’obtenir des dommages et intérêts et de contraindre l’employeur à prendre des mesures mettant fin à ce comportement.

Mais surtout, au-delà de la répression des auteurs et/ou de l’indemnisation des victimes, un travail de prévention doit être mené pour informer, sensibiliser et responsabiliser tous les acteurs sociaux, et plus particulièrement les employeurs et tous ceux qui exercent des fonctions d’encadrement. Ceci passerait par un renforcement des moyens de la médecine du travail, aujourd’hui exsangue, et bien sûr des services de l’inspection du travail.

Il est enfin tout à fait pertinent d’avoir mis en cohérence le code pénal et le code du travail comme le fait l’article 3 de la loi, rectifiant une erreur effectuée au moment de la codification du code du travail, aboutissant à ce que la discrimination pour harcèlement sexuel ne soit plus pénalisée.

Il est effectivement logique de prévoir une sanction pénale pour les faits de discrimination commis à l’encontre de personnes ayant subi un harcèlement sexuel ou moral.