Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en réaction à la publication, le 10 juillet 2014, du rapport Beaume sur l'enquête pénale

Refus de l’accès à l’entier dossier : la mission Beaume s’obstine, les droits de la défense attendront…

Décidément, la France a bien du mal à mettre sa procédure pénale en conformité avec la législation européenne !

Après le rejet par l’Assemblée nationale, il y a deux mois, lors du débat sur le projet de loi « relatif au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales » transposant la directive européenne du 22 mai 2012, d’un amendement consacrant le droit pour les avocats d’accéder au dossier en garde à vue, c’est aujourd’hui la mission Beaume, qui nous livre une bien pâle copie de ses propositions de réforme de l’enquête pénale. Phase procédurale qui cristallise pourtant plusieurs défauts – largement dénoncés par de nombreux professionnels – que sont notamment son caractère secret et la faiblesse des droits reconnus à la défense.

Il faut dire qu’en indiquant, à titre préliminaire, qu’il n’était pas dans sa mission de proposer

« un passage complet à une autre forme » et que « notre droit positif (était) déjà très largement conforme aux exigences européennes et même assez en avance sur celui d’autres pays européens », la commission annonçait la couleur. Il n’était pas question de remettre en cause la structure actuelle de l’enquête ou le rôle de ses acteurs, mais uniquement de toiletter le code de procédure pénale. La marge de manœuvre entre l’existant et un « basculement de notre système pénal »

était pourtant grande, mais la mission n’a visiblement pas souhaité l’exploiter. Dès lors, si quelques avancées sont, il est vrai, consacrées – et c’est heureux ! -, elles sont encore trop timides pour rétablir complètement l’équilibre de la procédure pénale et garantir ainsi un procès équitable au sens de la jurisprudence européenne.

Certes, la mission Beaume propose de mieux encadrer la durée de l’enquête comme le report de l'intervention de l'avocat pendant la garde à vue, de renforcer le caractère contradictoire de l’enquête en donnant plus de place à la défense en lui permettant de participer à certaines investigations et de faire elle même des demandes d’actes. Elle préconise en outre de donner au juge des libertés et de la détention un véritable statut et des conditions de nomination garantissant son indépendance, même si elle se refuse à en faire un véritable juge de l'enquête. Elle suggère aussi d’initier une réflexion sur la procédure de comparution immédiate, cette « justice expéditive » si banalisée dans nos tribunaux. Et elle rappelle, mais c'est une évidence, la nécessité absolue et préalable de réformer le statut du parquet, sans quoi ses propositions resteront lettre morte.

Mais tout en mettant en exergue son souci – louable ! – de protéger les libertés individuelles et de renforcer le contradictoire, la mission sacrifie ou minore trop souvent les avancées escomptées au nom de l’efficacité de l’enquête – dont le secret serait une , et par sa sécurité juridique au regard des normes européennes. Et que l’allègement de la charge de travail des policiers impose surtout un renforcement de leurs moyens matériels et humains et non l’acceptation d’une procédure bradée.

Cette obstination contre l’évidence conduit la mission Beaume à ne vouloir qu’aménager à la marge le déséquilibre actuel de l’enquête, en n’accordant qu’un droit restreint à l’accès au dossier en garde à vue ou lors d’une audition libre, limité aux éléments que l’enquêteur aura choisi d’évoquer lors des interrogatoires. Crainte d’une surcharge de travail pour les enquêteurs, d’une atteinte à leur "stratégie d’audition" ou à "l’efficacité de l’enquête", crainte de fuites organisées par des avocats peu scrupuleux ou soumis aux pressions de leurs clients, autant de prétextes – utilisés à chaque réforme de la garde à vue - pour retarder encore la reconnaissance d’un véritable droit à connaître les éléments à charge et à décharge avant d’être entendu.

Et la maigre avancée que constituera pour les personnes gardées à vue le fait d’avoir connaissance de certaines pièces de fond pourra être écartée sur décision du ministère public au simple motif de la « protection de l’efficacité de l’enquête ».

De même, la commission considère que chaque avancée en matière de contradictoire, induisant quasi automatiquement de nouvelles obligations, de certaines procédures où les actes effectués en garde à vue ne feraient plus l'objet que d'un enregistrement sonore…

Entre le poids et la résistance du ministère de l'intérieur, et les avancées démocratiques qui auraient pu être actées dans ce rapport, la mission Beaume a choisi. Elle refuse de consacrer, malgré les directives européennes et la jurisprudence de la CEDH, le droit effectif à l'assistance d'un avocat qui doit comprendre, selon l’arrêt Dayanan du 13 janvier 2010, « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien à l’accusé en détresse », autant d’actions impliquant une connaissance du dossier et pas uniquement des pièces qu’on aura bien voulu évoquer lors des auditions.

Alors que la France, depuis 10 ans, est à la remorque de la législation et de la jurisprudence européenne, et qu'elle ne les traduit dans son droit que contrainte et forcée, il est urgent de faire de l’enquête pénale une procédure réellement équilibrée et garante du procès équitable.

Le Syndicat de la magistrature demande au gouvernement et aux parlementaires de ne pas s’en tenir aux quelques avancées de ce rapport, mais d’élaborer un texte plus ambitieux, et, avant tout, de mener à bien l’indispensable réforme constitutionnelle garantissant aux magistrats du parquet l’indépendance nécessaire au plein exercice de leur mission.