Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature suite à l'adoption définitive du projet de réforme pénale

C’est fait. Le projet de réforme pénale, promis depuis plus de deux ans, a été enfin adopté par les deux assemblées après un passage en commission mixte paritaire.

Cette loi devait être l’occasion de rompre avec la politique sécuritaire de ces dernières années, et de faire prévaloir l’individualisation et l’aménagement des peines, dans une dynamique d’insertion tant de l’intérêt de l’individu que de la société.

L’objectif n’est malheureusement que très partiellement atteint et l’espoir d’une refonte des structures de notre droit pénal, révisant le champ de la pénalisation, le fonctionnement d’une justice pénale trop expéditive et rompant avec le tout-carcéral s’est envolé.

Certes, certaines des dispositions liberticides de ces dernières années sont supprimées – même si l’on peut déplorer qu’elles ne le soient qu’en raison de leur seule inefficacité ...

On ne peut ainsi que se féliciter de l’abrogation des peines planchers, inefficaces mais surtout contraires aux principes régissant notre droit pénal, et de la suppression du caractère automatique de la révocation des sursis simples, dont la mise à exécution aveugle mettait souvent à néant le travail de suivi et d’insertion mené par les professionnels. De même de la suppression des obstacles légaux à l’octroi des réductions de peine ou de libérations conditionnelles aux personnes condamnées en état de récidive, qui, plus que toutes autres, doivent être accompagnées à leur sortie.

Mais pour le reste, le bilan est pauvre tant les parlementaires de la majorité - visiblement pétrifiés par la peur d’une opinion publique fantasmée et désireux de lui donner des « gages de fermeté » là où il aurait fallu faire œuvre de pédagogie pour ne pas laisser place aux raccourcis démagogiques - ont rogné les ailes des idées intéressantes apparues au fil de la conférence de consensus et des travaux législatifs... Quand ils n’ont pas introduit dans le texte des dispositions contraires à ses objectifs. Ou renoncé à abroger des dispositions dont le caractère insupportable et inadmissible était pourtant pour eux, lors de leur adoption sous le précédent quinquennat, une évidence.

C’est ainsi qu’en subordonnant l’octroi d’une mesure de libération sous contrainte à des conditions restrictives, les parlementaires ont considérablement limité son champ d’application. Cette procédure, prévoyant un examen systématique de la situation des détenus au plus tard quand ils ont effectué deux tiers de leur peine, était pourtant une piste intéressante vers une peine de prison s’exécutant, par principe et sauf rares exceptions, pour partie « dedans » et pour partie « dehors », seul moyen efficace de favoriser la réinsertion et donc de garantir la protection de la société.

C’est de même que la contrainte pénale a pour partie été vidée de sa substance. En ne la déconnectant pas de l’emprisonnement puis en permettant au tribunal correctionnel de définir l’intégralité du contenu de cette mesure de probation et de fixer la peine de prison encourue en cas de non-respect, les parlementaires ont mis à néant l’innovation que représentait cette peine de probation censée être autonome et construite à partir d’une phase d’élaboration d’un programme de réinsertion adapté à chacun. En reportant son application à tous les délits en 2017, en laissant subsister le sursis avec mise à l’épreuve, dont elle est devenue la quasi « sœur jumelle », et en rejetant l’idée du Sénat d’en faire la peine maximale encourue pour certains délits, les parlementaires ont hypothéqué son existence même, tant les magistrats risquent d’ignorer une peine qu’ils identifieront mal et dont ils cerneront mal l’intérêt par rapport au déjà connu sursis avec mise à l’épreuve. Il ne suffisait pas de consacrer cette peine de probation dans la loi, il fallait lui donner un vrai contenu pour qu’elle soit l’outil efficace de réinsertion déjà utilisé dans de nombreux pays.

C’est ainsi toujours que les parlementaires ont choisi – plutôt que d’abroger ce dispositif sécuritaire - d’élargir à tous les détenus le champ de la surveillance judiciaire, mécanisme de contrôle jusque-là encore réservé à quelques infractions graves. Voilà l’outil décomplexant, qui donnera l’illusion de promouvoir le suivi et d’éviter les « sorties sèches », faisant de tous les exclus de la libération sous contrainte des candidats potentiels bien involontaires à ce contrôle imposé après la peine... Oubliant que ce projet était censé concrétiser la prise de conscience – bienvenue ! - de ce que la délinquance ne se résorbait pas à coup de contrôle accru après la peine mais par l’implication pendant la peine dans la réinsertion, la préparation de la sortie et l’accompagnement, c’est le contrôle que les parlementaires ont généralisé.

C’est ainsi qu’ils ont instauré la confusion entre le rôle du juge de l’application des peines, du service pénitentiaire d’insertion et de probation, et des instances locales de prévention de la délinquance, en permettant à ces dernières « d’organiser les modalités de suivi et de contrôle en milieu ouvert (...) des personnes condamnées sortant de détention ». L’exécution de la peine relève de l’autorité judiciaire et de l’administration pénitentiaire, c’est le méconnaître et risquer de perturber le bon déroulement du suivi que d’en confier la supervision à une instance composée pour partie de services du ministère de l’intérieur et d’autorités locales qui n’ont pas à connaître de la vie des gens, même anciens détenus.

C’est ainsi enfin, que les parlementaires ont renvoyé sine die – à croire que le temps de réflexion n’avait pas été suffisamment long depuis les annonces faites en mai 2012 – la suppression de la rétention et de la surveillance de sûreté, ainsi que celle des tribunaux correctionnels pour mineurs.

Alors oui, ce texte contient des avancées, mais il est loin de rénover notre droit pénal, loin de constituer la réforme ambitieuse attendue.

Les parlementaires sont restés au milieu du gué, ce sera maintenant aux professionnels de justice de s’emparer des quelques acquis de cette loi et de les exploiter pour, notamment, donner une véritable place à la contrainte pénale et éviter les « sorties sèches » de détention, et ainsi favoriser, par leurs pratiques, l’individualisation et l’aménagement des peines, dans l’intérêt de tous.