Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en réaction à l'adoption, en première lecture par l'Assemblée, de la proposition de loi réformant la prescription pénale

L’Assemblée nationale a adopté hier en catimini une désastreuse proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale. Loin de se borner à traduire dans la loi des jurisprudences anciennes ou à de simples adaptations techniques, le texte bouleverse gravement le régime de la prescription de l’action publique, et avec lui, toute la justice pénale.
Les délais y sont doublés. La dérive lente et continue des délais de prescription se poursuit bien au-delà de sa cible habituelle, le délinquant sexuel. Là où le code pénal prévoit actuellement une prescription des délits de trois ans, ces derniers exposeraient désormais leur auteur supposé à des poursuites jusqu’à six ans après les faits – sans compter les causes d’interruption faisant courir à nouveau ce délai de six ans. Et ce, quelle que soit la gravité des faits en cause. En matière criminelle, la prescription passerait de dix années à vingt années, et pour les crimes les plus graves se prescrivant déjà par vingt ans, elle s’allongerait à trente ans. Ce dramatique glissement de terrain nie le sens même de la prescription
Principe fondamental de notre droit, garantissant la sécurité juridique de tous et correspondant à un besoin d’apaisement social – tant des auteurs que des victimes – la prescription est remise en cause dans sa philosophie même. Absurde évolution dans un contexte où la justice est enjointe de juger sans délai, au besoin par des voies expéditives, la moindre affaire.
L’invocation de l’attente de justice comme du droit des victimes est ici de pure posture. La cause des victimes ne se niche pas dans l’allongement continu des délais de prescriptions. Comment enquêter et juger si longtemps après les faits ? Entre dépérissement des preuves, fragilité du récit de plaignants affectés dans leur cohérence par le temps et incapacité du mis en cause à se défendre, le droit au procès équitable vacille.
C’est par la prévention, la formation des acteurs sociaux et judiciaires à l’accueil et au recueil des plaintes et par un recentrage de l’activité policière sur leurs fonctions d’investigation que passe le droit des victimes. En faisant de la plainte de la victime une nouvelle cause d’interruption de la prescription et en allongeant continuellement les délais, les parlementaires entretiennent une illusion vouée à être doublement déçue. Par la probabilité élevée que la plainte n’aboutisse pas, faute de preuve tangible et sauf à courir le risque d’erreurs judiciaires mais aussi, en cas de condamnation, par l’incompréhension suscitée par une décision qui, sur la peine, ne pourra ignorer le temps écoulé.
Les principes du droit pénal ne peuvent ainsi être bradés au mépris des fondements de la prescription, de la réalité de la justice pénale et des impacts considérables sur le fonctionnement des juridictions d’une telle réforme. Le Syndicat de la magistrature se mobilisera pour dénoncer, dans les débats à venir, les effets délétères de ce texte.