Tribune du Syndicat de la magistrature sur les violences policières et leur traitement judiciaire

Depuis plusieurs semaines, un débat s’est ouvert sur les violences policières, leurs formes, leurs origines et leur répression. Des citoyens et des organisations se saisissent de questions essentielles et pourtant si souvent reléguées : les prérogatives policières et leurs dérives, leur traitement judiciaire et ses impasses.
Pour Théo L., comme pour Joseph Guerdner, Zyed Benna et Bouna Traore, Ali Ziri, Amine Bentounsi, Rémi Fraisse, Amadou Koume, Adama Traore mais aussi Geoffrey Tidjani, Joachim Gatti, Nassuir Oili et beaucoup d’autres, les procédures pénales doivent pouvoir être menées dans la sérénité et avec rigueur. Mais cela ne saurait priver quiconque de la possibilité d’interroger et de critiquer le fonctionnement de l’institution policière, comme celui de l’institution judiciaire.
Certains veulent opposer une fin de non recevoir quand les questionnements et revendications sur ce sujet émanent des citoyens et plus encore, d’un syndicat de magistrats. De sa connaissance particulière de l’institution et de son rôle de défense des libertés découle pourtant la nécessité de questionner les formes de la répression, dans ce domaine comme dans celui des délits économiques et financiers ou de la délinquance quotidienne. La 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris le rappelait récemment dans les termes suivants : « le Syndicat de la magistrature a vocation, en tant que syndicat de magistrats, à défendre non seulement les droits individuels et collectifs de ces professionnels, mais également l’institution judiciaire, cette défense ne pouvant toutefois signifier, sauf à lui faire perdre toute substance et tout intérêt, une approbation inconditionnelle de l’ensemble des actes et décisions de nature juridictionnelle ou la soumission dudit syndicat à un devoir de réserve similaire à celui exigé des magistrats pris individuellement ». Notre objectif est clair : identifier tant les sources des violences policières que les errements de leur répression.
Or, dans le débat public, l’origine des violences institutionnelles est encore trop peu interrogée et les mesures propres à les prévenir à peine effleurées. La vive émotion suscitée par les violences particulièrement graves subies par Théo L. ne vient pas contredire ce constat : le traitement réservé à ces violences demeure largement compassionnel et décontextualisé. Traitement compassionnel et décontextualisé, parce que n’est retenu qu’un acte individuel, sans l’inscrire dans l’histoire et les structures des relations entre la police et les habitants des quartiers populaires. Au demeurant, peu relèvent qu’un tel traitement n’a été possible que parce que Théo L. a bénéficié d’un crédit souvent refusé à d’autres. Ne nous y trompons pas, si sa parole a été accueillie en justice sans tarder, c’est qu’il répondait à certains standards notamment identifiés par la sociologie de la police : l’absence d’antécédents judiciaires, la disproportion manifeste de l’acte subi et l’impossibilité pour les policiers d’invoquer une situation de danger qui l’aurait justifié.
Mais, même dans cette affaire particulière, le ministre de l’Intérieur évoque devant le parlement un « accident » au sujet de ces violences, alors qu’une information judiciaire est en cours pour des actes volontaires qualifiés à ce stade de violences et de viol. Ces propos sont révélateurs : en minimisant l’acte à priori, et en le réduisant à une anomalie isolée, ils dispensent leur auteur de se pencher sur ses causes structurelles, au delà de certains déterminants individuels, dans les règlementations et les directives à destination des forces de police. Cet événement n’aura ainsi pas perturbé l’adoption du projet de loi relatif à la sécurité publique modifiant, en l’étendant, l’usage des armes par les policiers et les gendarmes, permettant leur anonymisation quasi systématique dans les procès-verbaux et aggravant la répression des outrages et de la rébellion.
Les pouvoirs publics ne peuvent pourtant faire l’économie de cet examen dans un Etat de droit.
Il convient de relever d’emblée que cet examen est obéré par l’indigence des données statistiques concernant les violences commises par les forces de l’ordre.
Ce n’est qu’en avril 2016 que le ministre de l’Intérieur a pris la décision de recenser de façon précise «les blessures sérieuses, les blessures graves et les décès de particuliers, survenus à l'occasion ou à la suite de l'exercice des missions de la police nationale». L’avancée, bien tardive, aurait été saluée par tous si elle n’était pas biaisée. Ces statistiques, qui reposent sur une centralisation par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) des procès-verbaux qui lui sont transmis par les services, ne portent que sur les blessures entrainant une incapacité totale de travail de plus de 20 jours. Un tel seuil n’est en pratique que rarement atteint : des blessures importantes, certaines fractures par exemple, ne seront de fait pas prises en compte. Inversement, lorsqu’ils visent des personnes dépositaires de l’autorité publique, ces faits sont intégralement recensés, quel que soit le dommage causé et ce même sans interruption temporaire de travail.
A ce stade, les rares données officielles connues concernent des interventions armées de police s’étant conclues par des décès. Le rapport établi par la Mission relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité, présidée par la directrice de l’Institut des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), fait état des éléments suivants : du 1er janvier 2010 au 11 novembre 2016, les parquets généraux ont signalé au ministère de la Justice cinquante neuf affaires dans lesquelles des policiers ou des gendarmes ont fait un usage mortel de leur arme dans l’exercice de leurs fonctions. Huit d’entre elles n’ont fait l’objet d’aucune procédure, vingt-cinq ont fait l’objet d’un classement sans suite par le parquet, cinq sont en cours d’enquête et vingt ont donné lieu à la saisine d’un juge d’instruction (dont seize à l’initiative du procureur). Sur les vingt procédures d’instruction, dix se sont soldées par un non-lieu et deux par un renvoi devant la juridiction de jugement (cour d’assises et tribunal correctionnel). On est loin de l’image véhiculée par les manifestations policières de l’automne, lesquelles ont pourtant déterminé le sens de la législation définitivement adoptée le 28 février 2017.
A ces données s’ajoutent fort heureusement des recensements associatifs ou citoyens. Le phénomène a ainsi été récemment documenté dans un rapport de l’Association chrétienne d’action contre la torture (ACAT), L’ordre et la force. Ce rapport décompte 109 décès survenus entre 2004 et 2014 dans le cadre d’interventions de police ou de gendarmerie, n’incluant pas nécessairement l’usage des armes. Il recense également des usages de la force ayant entraîné infirmités permanentes et blessures irréversibles, issus de décomptes non officiels. Sur un plan plus officiel, seuls les chiffres rapportant le nombre de saisines du Défenseur des droits (1225 en 2016 dont un tiers porte sur des allégations de violences), de l’IGPN (400 saisines en 2014 pour des accusations de violences volontaires) et de l’IGGN sont connus. Ces chiffres mériteraient d’ailleurs un examen plus approfondi dans la mesure où une très faible proportion (moins d’1%) des signalements de citoyens à l’IGPN donnent lieu à une enquête.
Malgré le manque de transparence des statistiques, il est établi par les témoignages des personnes concernées comme des professionnels du droit que l’institution judiciaire peine à répondre de manière adaptée aux faits de violences policières. Le débat n’a que très rarement lieu. Aussi, lorsque la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France, le 17 avril 2014, dans un arrêt Guerdner, l’affaire n’a-t-elle pas fait grand bruit. Ayant tué de plusieurs balles un homme menotté qui tentait de s’enfuir dans la cour d’une gendarmerie après avoir sauté par la fenêtre du local de garde à vue, le gendarme avait été acquitté par la cour d’assises du Var. La CEDH constatait quant à elle une violation par la France de l’article 2 de la Convention qui protège le droit à la vie, à raison du recours à la force meurtrière.
Avant même de s’interroger sur les impasses du traitement judiciaire, il faut commencer par identifier, au delà des dérives individuelles, les dispositions, organisations et pratiques policières qui font naître ou sur lesquelles prospèrent ces violences.
Les conditions juridiques et les directives hiérarchiques en matière d’interpellations, d’opérations de maintien de l’ordre, de démantèlement de terrains ou de squats, dans les procédures de reconduite à la frontière méritent ainsi d’être examinées. A titre d’exemple, les décisions du Défenseur des droits en matière de reconduites forcées à la frontière mettent régulièrement en cause le cadre d’emploi et les directives données quant au recours à des techniques et méthodes de contrainte. Les mêmes observations sont faites en matière de maintien de l’ordre et d’usage des armes improprement qualifiées de « non létales ».
Les pratiques policières plus quotidiennes méritent une attention toute aussi particulière. Les structures organisationnelles de la police, l’importance prise par les brigades spécialisées de terrain et brigades anti-criminalité et leurs méthodes de « chasse » - terminologie employée par des policiers eux-mêmes - la priorité donnée au quadrillage de certains quartiers, les exigences de productivité imposées dans les services de police jouent un rôle clé dans l’apparition des violences. Le droit et la pratique des contrôles d’identité sont au cœur de cette problématique, tant les contrôles discrétionnaires sont perçus par beaucoup de policiers comme le moyen central de détection des infractions et d’occupation du terrain. Une étude de la Direction générale de la police nationale (DGPN) menée en 2014 sur deux départements a pourtant montré que près de 95% des contrôles n’ont aucune suite.
Le contrôle au faciès, n’en déplaise aux ministres de l’Intérieur successifs, est une réalité vécue et documentée par des études sociologiques. Elle trouve sa source dans un régime légal du contrôle d’identité qui favorise les abus. Dans de nombreux cas, les forces de l’ordre n’ont pas à justifier d’un motif tenant au comportement de la personne pour la contrôler. Les largesses de la loi se doublent d’un contrôle défaillant de l’autorité judiciaire et d’injonctions de la hiérarchie policière, incitant à pratiquer des contrôles systématiques. Cela se traduit dans les faits par des pratiques discriminatoires dont certaines ont pour seul objectif non pas de découvrir une infraction, mais d’affirmer l’autorité policière dans les zones de sécurité prioritaires et autres quartiers populaires. Exposés à un quadrillage policier intense produisant mécaniquement une surpénalisation judiciaire pour des délits de faible gravité, de nombreux jeunes hommes issus de ces quartiers ressentent une vive injustice. Les victimes de ces contrôles sont bien en mal de faire valoir leurs droits, faute de récépissé pourtant promis par l’actuel président de la République. Des actions judiciaires ont permis récemment de faire reconnaître la faute lourde de l’Etat pour des contrôles discriminatoires. Encore faut-il pouvoir agir en justice. Sans la restriction drastique des possibilités de contrôle dans l’article 78-2 du code de procédure pénale et sans le rétablissement d’un contrôle plein et entier de l’autorité judiciaire, les relations désastreuses entre la police et les citoyens des quartiers populaires persisteront. Dans le contexte de l’état d’urgence, hélas, les pratiques et les textes ont encore accru cette réalité.
Face à un phénomène que les tensions internes à la police, entre différentes conceptions du métier et de l’usage de la force, ne contribuent pas à endiguer, l’institution judiciaire reste dans une position de faiblesse. Structurellement, elle demeure implacable dans la répression des atteintes commises au préjudice des forces de l’ordre mais singulièrement impuissante à mettre en œuvre la répression des actes commis par les personnes dépositaires de l’autorité publique.
De cette dialectique nait un sentiment de deux poids deux mesures que vient confirmer la lecture de la circulaire du 20 juin 2016 relative à la lutte contre les infractions commises à l’occasion des manifestations et autres mouvements collectifs. Concernant les faits commis au préjudice des forces de l’ordre, il est indiqué qu’ils « portent profondément atteinte aux valeurs de la République. Ils justifient qu’une attention particulière soit portée à ce type d’agissements et que les parquets fassent preuve à ce sujet d’une grande fermeté. Plusieurs dépêches et circulaires de politique pénale (...) dont les instructions demeurent d’actualité, appellent déjà les parquets à mettre en œuvre une réponse pénale particulièrement ferme et systématique et à faire preuve d’une vigilance nécessaire face aux actes commis contre les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie nationale ». La seconde partie intitulée plus sobrement « Le traitement des plaintes déposées contre les forces de l’ordre » indique simplement « à l’occasion de manifestations ou de mouvements collectifs, les forces de l’ordre peuvent faire l’objet de dénonciations à raison de leur comportement ou de leur action (...). Lorsque l’infraction reprochée est caractérisée, les différentes modalités de poursuite judiciaire peuvent être envisagées ». La différence de ton est patente. Et de fait, la répression, souvent immédiate et lourde, contre ceux qui commettent des infractions dans le cadre de manifestations, d’actions collectives, tranche avec la difficulté à voir les procédures aboutir lorsque les forces de l’ordre sont mises en cause et avec la relative indulgence des sanctions pénales prononcées, ainsi que l’avait relevé le rapport précité de l’ACAT.
Pourtant, et contrairement à ce qu’expriment les tièdes directives données en la matière, il en va de la confiance des citoyens dans l’institution comme du respect par la France d’un de ses textes fondateurs. L’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen dispose : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme est très claire, les Etats ont l’obligation positive de prévenir, par l’adoption d’un dispositif légal adéquat, les faits de violence institutionnelle et d’en assurer la répression, notamment via une enquête effective et impartiale. L’usage illégitime de la violence par certains professionnels auxquels l’Etat confie des prérogatives, des armes et des responsabilités ne saurait être toléré sans ébranler les fondements du vivre ensemble. C’est en jugeant de manière équitable et impartiale ces atteintes que la justice participe à la paix sociale, à la dignité et à la justice égale pour tous.
L’action judiciaire en la matière ne doit dès lors pas être placée à l’abri des critiques. Le récent décès d’Adama Traore au cours d’une intervention policière en a été la triste occasion. Ses proches et les associations qui les soutiennent ont dénoncé l’opacité de l’enquête et ce qu’ils percevaient comme un défaut d’impartialité, et parfois un acharnement à contresens, de l’institution judiciaire. Ces critiques ont trouvé leur source dans une apparence de partialité du procureur de la République notamment à raison de ses prises de position publiques et dans le renvoi de deux frères d’Adama Traore en comparution immédiate devant le même tribunal de Pontoise, qui a explicitement prononcé à leur égard une condamnation lourde afin de « rétablir, par son caractère exemplaire, l’autorité des forces de l’ordre ».
En creux, il est aisé d’identifier un écueil contre lequel l’autorité judiciaire doit se prémunir : la perception d’une connivence de principe entre justice et forces de l’ordre qui porterait à l’opacité et à la partialité dans les investigations judiciaires. Ainsi faut-il d’abord que, lorsque la justice communique sur ces enquêtes, dans le respect de la présomption d’innocence de l’agent accusé, elle se garde d’écarter a priori la responsabilité de l’agent, aux seules fins de rétablir l’ordre public face à l’émoi suscité.
Au delà, il convient de favoriser les moyens de nature à assurer le recueil des preuves, l’impartialité et l’apparence d’impartialité dans les affaires de violences commises par les forces de l’ordre.
De fait, si la répression des actes de violence illégitime des forces de l’ordre est malaisée, c’est notamment parce que s’expriment, dans ces affaires, deux versions contradictoires : celle de la police contre celle du plaignant. Or, le travail judiciaire trouve par essence son socle dans le travail policier d’élaboration de procédures d’enquêtes pénales. Sans connivence de principe, les relations entre les officiers de police judiciaire et les magistrats sont néanmoins quotidiennes et empreintes de confiance. Mettre en doute les procès-verbaux - qui n’ont pourtant juridiquement pas une valeur supérieure - et faire la preuve en justice d’un usage disproportionné de la force n’est - en soi - pas simple dans ces conditions mais pas impossible non plus.
C’est ainsi que le recours à la vidéo, mode d’objectivation du témoignage en matière de violences policières, est devenu crucial pour obtenir justice. C’est le cas dans l’affaire concernant Théo L. A Sivens, l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) n’a retenu que deux faits de violences : un manifestant frappé à terre et une autre gazée à l’intérieur d’une caravane. Leur point commun, une vidéo explicite et ne laissant aucune place au doute. Les autres accusations sont presque d’office balayées, selon une argumentation renversée qui voit dans l’absence de vidéo une absence de violence : « Si d'autres manquements avaient été commis, il est probable que les opposants qui filmaient systématiquement les comportements des gendarmes, les auraient médiatisés. »(RapportIGGN n°3885du2décembre2014).Du côté du lycée Bergson pendant les mobilisations contre la loi travail, selon la même logique, la vidéo a objectivé les violences commises sur un enfant de quinze ans frappé à terre par des policiers et a radicalement modifié l’issue de la procédure. La vidéo est un tel enjeu qu’il n’est pas rare que les forces de l’ordre intimident ceux qui filment un contrôle, contre les termes de la note DGPN du 23 décembre 2008 qui rappelle que la protection de la vie privée ne couvre pas les activités de police, par essence publiques. Cette note rappelle aux policiers qu’ils ne peuvent ni interpeller la personne procédant à l’enregistrement, ni lui retirer son matériel ou le détruire, autant de pratiques pourtant toujours constatées. Certains rétorquent à tort que les caméras mobiles introduites par la loi du 3 juin 2016 répondent à l’objectif de prévention des abus policiers. Destinées à « la prévention des incidents », leur mise en route est déterminée par le seul agent qui la porte, « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées » et l’accès aux enregistrements par les particuliers concernés est malaisé.
Sur le difficile recueil des preuves, vient se greffer la problématique de l’impartialité des enquêteurs saisis des faits dénoncés. Selon leur nature et leur gravité, le service saisi par la justice pour enquêter ne sera pas le même. Le ministère de la justice formule plusieurs préconisations à cet égard, rappelées dans la circulaire du 20 septembre 2016 : saisir - évidemment - un service distinct de celui dans lequel exerce l’agent visé et confier les faits de faible gravité à des services locaux (direction départementale de la sécurité publique, brigade de recherche, section de recherche ou groupement de gendarmerie) tandis que les faits plus graves ou plus complexes impliquent une saisine des inspections de la police ou de la gendarmerie (IGPN ou IGGN). Les praticiens relèvent que les procédures menées par les inspections sont de plus grande qualité et appellent moins de critiques quant à une suspicion de connivences. Tous ces services d’enquête ont néanmoins la particularité de dépendre du ministère de l’Intérieur, de sorte que certains revendiquent la création d’autorités d’enquête indépendantes. Cette proposition - au même titre que la pratique, parfois souhaitable, de saisines croisées, c’est à dire de policiers pour les affaires visant la gendarmerie et inversement - n’appelle pas une réponse évidente. En effet, en la matière, il faut concilier l’efficacité des investigations, qui commande que le service saisi ne soit pas absolument « étranger» aux services sur lesquels il enquête, et l’impartialité qui exige à l’inverse une distance vis à vis des agents impliqués. La résolution de ce paradoxe passe par une réflexion pluridisciplinaire sur la question.
Pour assurer l’apparence d’impartialité et permettre le respect du principe du contradictoire, de nature à dissiper les craintes des parties quant à la façon dont l’enquête est menée, la saisine rapide d’un juge d’instruction est la voie procédurale à privilégier. Ainsi, les parties (plaignants et mis en cause) peuvent disposer au plus vite de l’accès au dossier (procès-verbaux, rapport d’autopsie...) et de la possibilité de demander des investigations complémentaires. La question d’un dépaysement de l’affaire doit se poser en fonction des circonstances des faits et de leur retentissement local. Le recours à cette procédure demeure aujourd’hui marginal alors même qu’il permettrait bien souvent d’écarter aisément certaines craintes et rendrait à l’autorité judiciaire sa capacité d’appréhender sereinement ces dossiers. Ces deux exigences ressortent d’ailleurs de la circulaire du 20 septembre 2016.
Au préalable, les moyens de la justice doivent être à la hauteur des enjeux en cause. En effet, trop souvent, ces affaires ne sont pas traitées prioritairement. Dans un cabinet d’instruction, les dossiers dans lesquels des personnes sont placées en détention provisoire sont traités d’abord et le risque est grand que les enquêtes sur les faits de violence policière sans détenu ne se déroulent pas dans un délai raisonnable. Pourtant, la nécessité de ne pas laisser croire à un enterrement collusif des dossiers et celle d’aboutir à une issue judiciaire tant pour l’agent concerné que pour les victimes ou leurs proches commanderaient de les traiter en priorité.
Rendre publiques des données statistiques complètes concernant les violences commises par des personnes dépositaires de l’autorité publique et leurs suites judiciaires, modifier le régime des contrôles d’identité, repenser les modalités de l’intervention policière et les doctrines d’emploi de la force, revenir sur les dispositions de la loi sécurité publique relatives à l’usage des armes et à l’anonymisation des agents dans les procédures, mettre en oeuvre une politique pénale et de saisine des services d’enquête favorisant l’apparence d’impartialité, le contradictoire, l’examen serein des charges aussi bien dans les affaires où les forces de l’ordre sont victimes que dans celles où elles sont mises en cause...
Ces quelques pistes n’épuisent évidemment pas la réflexion. Il est urgent d’ouvrir un débat citoyen, dans lequel la parole de ceux qui vivent cette réalité doit pouvoir avoir au moins autant de retentissement que quelques sirènes policières sous les fenêtres des palais de justice.

Le Syndicat de la magistrature se joint aux organisations et syndicats appelant à participer à la marche pour la justice et la dignité, le 19 mars à 14 heures à Paris.

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