Formation/recrutement des magistrats

Avant les vacances de noël a été publié un contrat valant acte d’engagement et cahier des clauses particulières ayant pour objet la conclusion d’une prestation d’accompagnement à la définition des grandes orientations stratégiques de l’Ecole Nationale de la Magistrature, avec une date de soumission des candidatures fixée à début janvier. Il s’agit d’une nouvelle étape d’une longue séquence remettant en question, sans se fonder sur des éléments et analyses concrets le justifiant, le travail de l’école, alors que l’immense majorité des magistrats et grand nombre de professionnels du droit qui l’ont fréquentée reconnaissent sa qualité. La directrice avait annoncé, lors de notre entretien avec elle à la suite de sa nomination puis lors de son premier conseil d’administration, qu’elle s’appuierait sur un bilan du fonctionnement de l’école avant toute réforme. Néanmoins, les modalités de ce bilan n’étaient pas connues avant la publication de ce contrat, et nous n’avons pas abordé ce sujet lorsque nous avions échangé avec le nouveau directeur de la formation initiale.

Un audit d’une ampleur inégalée jusqu’à présent

Il ne s’agit pas du premier recours par l’ENM à une société d’audit, la pratique existait avant la nomination de la nouvelle directrice. Néanmoins, c’est la première fois à notre connaissance que l’objet du contrat est si vaste. S’il est compréhensible que la directrice souhaite effectuer un bilan de l’activité de l’ENM avant d’impulser une dynamique, le recours à une société d’audit interroge : l’inspection générale de la justice qui réalise des rapports de très bonne qualité aurait tout à fait pu être désignée sans solliciter de la part d’une société peu au fait du fonctionnement du monde judiciaire une analyse sur le fonctionnement de l’école. Le recours à un cabinet d’audit ne peut qu’instiller l’idée d’une suspicion envers le service public, et contre l’inspection générale de la justice en particulier. 

Surtout, l’audit ne se limite pas à un bilan de l’existant : il s’agit en effet « d'effectuer un audit de l’école nationale de la magistrature qui permettra de déterminer les orientations stratégiques de l’établissement pour les prochaines années » : « sur la base d’un état des lieux de la formation existante, des attentes sociétales à l’égard de la justice, mais également dans la perspective de développer les synergies entre les professions judiciaires et d’intégrer les réflexions en cours sur le plan interministériel de modernisation de la haute fonction publique, il s’agira de formuler des propositions ». Si les synergies entre les professions judiciaires évoquent clairement les attentes de l’actuel garde des Sceaux, et si le plan interministériel de modernisation de la haute fonction publique est, selon les informations communiquées par la directrice de l’ENM lors de nos échanges avec elle, une déclinaison du rapport Thiriez vidé des mesures les plus problématiques, la référence aux « attentes sociétales à l’égard de la justice » interroge, ce d’autant plus que le contrat évoque plus loin les « regards extérieurs sur les attentes à l’égard de l’institution judiciaire ». Loin de nous l’idée de dire que la justice doit être déconnectée de la société dans laquelle elle est rendue ; cependant, confier à une société d’audit la responsabilité de déterminer quelles sont les perceptions de la société sur son fonctionnement, et les attentes à son égard, dans un contexte où l’école fait l’objet dans le débat public d’attaques visant, pour des raisons politiciennes, à la décrédibiliser par des descriptions totalement déconnectées de la réalité de son fonctionnement, ne nous semble pas la meilleure façon de poser les termes du débat. 

Un audit en mode commando

Le contrat mérite, en lui-même, quelques développements. Il porte sur un montant maximal de 90.000 euros HT (108.000 euros TTC). Ce montant, non négligeable, reste limité  par rapport à la dotation pour charge de service public de l’école pour l’année 2021 (32.763.380 euros) et ne met certes pas en péril l’équilibre financier de l’école. Cependant, le contrat vient grignoter la partie liquide du budget de l’école, qui est limitée, étant relevé que le fonds de roulement diminue d’année en année. Par ailleurs, ce montant reste inférieur aux seuils exigeant une procédure formalisée (139.000 euros HT pour l’Etat et ses établissements publics). Il doit être relevé cependant que « les prestations, objet du présent contrat, pourront donner lieu à la passation d’un nouvel accord-cadre pour la réalisation de prestations similaires, conformément aux articles L 2122-1 et R 2122-7 du code de la commande publique, qui sera exécuté par le titulaire du présent contrat ». Si les principes de la commande publique s’appliquent, le recours à la procédure adaptée permet de se dispenser d’un certain formalisme, et permet donc une plus grande célérité. 

Cet objectif de célérité se retrouve dans le séquençage des obligations mises à la charge du cocontractant : il devra avant le 1er mars 2021 « sur la base d’une synthèse documentaire à établir et d’entretiens à réaliser, faire ressortir les principales évolutions de la formation initiale par l’Ecole, depuis la réforme de 2008 », en intégrant « la question des moyens mis en œuvre pour remplir les différentes missions de l’Ecole », et « réaliser un minimum d’une quarantaine d’entretiens avec les parties prenantes de l’école nationale de la magistrature ». Pour le 15 mai 2021, il devra réaliser un document de synthèse concernant « les grandes orientations sur le fondement desquelles l’Ecole pourrait évoluer et formuler des propositions d’actions ». Enfin, pour le 31 juillet 2021, elle devra « accompagner la direction de l’école dans la déclinaison opérationnelle des grandes orientations stratégiques retenues », en élaborant « un catalogue et un calendrier de mesures concrètes de mise en œuvre de celles-ci ». Le timing est donc pour le moins serré, surtout que pour l’instant, si le candidat aurait été choisi, rien n’indique qu’il ait entamé ses travaux - en tout cas, son nom n’a pas été rendu public -, ce qui laisse craindre que les conclusions de l’audit soient connues d’avance. 

Un renforcement d’une gouvernance resserrée - et peu transparente

Le pilotage du contrat est confié, pour l’ENM, au comité de direction restreint qui rassemble, outre la directrice, le secrétaire général et les deux directeurs adjoints (formation initiale et formation continue). En l’espèce, et sans mettre en cause les qualités professionnelles des uns et des autres, il est nécessaire de relever que trois d’entre eux sont arrivés récemment en poste, et que deux d’entre eux ne sont pas passés à l’école. Si le contrat prévoit que « les services métiers seront étroitement associés aux travaux pour apporter leurs éclairages », il reste muet sur le rôle que pourrait jouer le conseil d’administration dans l’opération. Il s’agit, en définitive, d’une officialisation du fonctionnement concret de l’ENM, le conseil d'administration étant souvent ramené à un rôle purement symbolique. Il n’empêche que cette instance permet de soumettre à la transparence et au débat les grandes options concernant l’avenir de l’école, et que son contournement ne peut être qu’accueilli avec méfiance.

Cette façon de procéder est la continuation d’une méthode bien rodée depuis 2017, éprouvée dans tous les champs de l’action publique, et que nous avons déjà dénoncée dans d’autres domaines : gouverner et réformer en s’appuyant sur des groupes d’experts ad hoc, des sociétés d’audit ou en organisant des pseudo consultations citoyennes sans s’assurer que les termes du débat sont correctement posés et la méthodologie fiable, tout en écartant les organisations syndicales et professionnelles et les travaux des universitaires, tout ce qui constitue les corps intermédiaires. Bref, une nouvelle illustration de la verticale du pouvoir adossée à la gouvernementalité managériale. 

Nous avons sollicité un rendez-vous avec la directrice pour évoquer ces éléments, et ne manquerons pas de suivre de près la manière dont cet audit sera réalisé et de vous tenir informés.

En 2020, le quota de recrutements ouverts sur le fondement de l’article 18-1 de notre statut était de 83 auditeurs de justice.
 
La commission d’avancement a émis 79 avis favorables. Cependant, 22 reports de scolarité de 2020 à 2021 avaient eu lieu l’an dernier selon des critères définis par la DSJ, qui entendait limiter le nombre d’intégrés à la promotion 2020 pour des motifs budgétaires. Les 79 candidats admis par la commission d’avancement cette année ne pourront donc pas tous intégrer la promotion 2021.
 
Cette pratique de cavalerie ampute de nouveau les capacités de recrutement pour l’an prochain.
 
Avecl’Union Syndicale des Magistrats, nous dénonçons une fois de plus avec force cette situation qui ralentit le rythme des recrutements. Vous trouverez ci-joint la lettre que nous avons adressée au directeur des services judiciaires le 11 décembre. Nous espérons que, conformément à ce qui nous a été annoncé en réunion bilatérale, une solution pourra être recherchée pour mettre fin à cette difficulté pour la promotion 2022.
 

La limitation des recrutements latéraux perdure (102.67 KB) Voir la fiche du document