Robert Badinter, avocat, garde des Sceaux, président du Conseil Constitutionnel, figure de proue de la gauche judiciaire, s’est éteint dans la nuit du 8 au 9 février 2024. Nos pensées émues vont à sa mémoire et à ses combats qui, pour la plupart, furent aussi les nôtres.

 

Robert Badinter a œuvré avec ténacité et avec un acharnement hors norme, pour émanciper notre système pénal de sa démesure punitive. En le débarrassant de cette « voie de fait sanglante », ainsi que la désignait Victor Hugo, qu’est la peine de mort, mais aussi en élevant aux premiers rangs de son action politique la dépénalisation de toutes les relations homosexuelles sans distinction, il a permis à l’institution judiciaire – et à travers elle, à la société toute entière – d’élargir de façon décisive son humanité.

 

Nous rendons hommage à la profondeur de champs de ses positions, ainsi qu’à sa parole fédératrice et profondément humaine. Nous espérons que la voix qu’il a portée pour la vigueur et l’effectivité, partout, toujours et pour tous.tes, de l’État de droit raisonnera encore demain, dans toutes ses dimensions.

 

Œuvrons pour que son engagement en faveur d’un système judiciaire emprunt d’humanité, d’égale mesure et de justesse trouve des traductions amples et concrètes dans l’avenir et continue sans cesse d’inspirer nos luttes.

logo de la cour européenne des droits de l'homme

Le Syndicat de la magistature contribue au suivi de l'exécution de l'arrêt CEDH JMB c France du 30 janvier 2020 en produisant des observations devant le comité des ministres du Conseil de l'Europe.

Quatre années se sont écoulées depuis la condamnation de la France par la CEDH et la recommandation d’adopter les trois mesures suivantes : supprimer le surpeuplement carcéral, améliorer les conditions de détention et établir un recours préventif.

Dans son plan d’action réactualisé en décembre 2023, la France continue d’en référer aux effets escomptés de la LPJ (loi de programmation pour la justice) du 23 mars 2019 et de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Le recul est pourtant suffisant pour constater qu'aucune de ces deux lois n’a permis ne serait-ce qu’un ralentissement de l’accroissement de la population carcérale. C’est même le constat inverse qui doit être dressé.

Nos observations à la suite de l'actualisation du plan d'action du gouvernement français, le 29 décembre 2023.

Arrêt CEDH JMB et autres c. France - nos observations sur le plan d'action de la France (173.27 KB)

La surpopulation dans les prisons atteint des sommets et, seul contre tous, le gouvernement rejette explicitement la seule option qui permettrait de les désengorger dans l’urgence : un dispositif contraignant de régulation de la population carcérale. 34 associations, syndicats et institutions lui demandent de s’y résoudre.

Alors que la surpopulation rend la situation des prisons explosive, les appels convergent de toutes parts : il est urgent de mettre en place un mécanisme qui contraigne les acteurs judiciaires et pénitentiaires à réguler la population carcérale. Eux-mêmes le demandent, aux côtés de tous les acteurs de terrain.

Ils ne sont pas seuls : de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme au Contrôle général des lieux de privation de liberté, en passant par le Conseil économique, social et environnemental ou encore des parlementaires[1], tous exhortent le gouvernement à avoir le courage politique d’agir. Le 10 octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invitait elle aussi « les autorités à expérimenter un mécanisme contraignant de régulation carcérale ».

Mais cette unanimité se heurte à un gouvernement plus sourd que jamais : « la France ne souhaite pas instituer un mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale, lié à un seuil de criticité, qui pourrait attenter au principe de l’individualisation des peines et fragiliser la sécurité publique », assume-t-il dans un document adressé le 1er septembre au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. La fin de non-recevoir est claire.

En réalité, aucun des dispositifs contraignants de régulation carcérale proposés n’empêcherait les magistrats de continuer à rendre leurs décisions au cas par cas. La libération de nombreuses personnes détenues en fin de peine pendant la crise sanitaire liée au Covid-19 a montré que, loin d’être risquée, une telle opération pouvait produire des effets rapides à la mesure de l’urgence. À l’inverse des politiques mises en place depuis des dizaines d’années, que les autorités françaises entendent poursuivre en dépit d’un résultat dramatique : sur les 73 693 personnes détenues au 1er septembre, près de 50 000 s’entassaient dans des prisons où le taux moyen d’occupation frôle 145%, et 2 361 dormaient sur des matelas à même le sol.

Il n’est plus possible d’accepter qu’en France, les personnes détenues soient soumises à des conditions inhumaines. Sans attendre les nécessaires réformes de fond, une solution d’urgence existe et fait l’objet d’un large consensus : une régulation carcérale, qui doit absolument être contraignante pour produire des effets. Il est grand temps que le gouvernement s’en saisisse.

 

Surpopulation carcérale : seul contre tous, le gouvernement s’oppose à une solution d’urgence (357.78 KB)

 

 

 

 

De l’indécence à se prévaloir de 742 peines d’emprisonnement ferme en réponse aux révoltes urbaines

Alors que le pays s’est embrasé après la mort de Nahel, tué par un policier dans un contexte de refus d’obtempérer, le garde des Sceaux a exigé des parquets « une réponse rapide, ferme et systématique » aux actes de délinquance commis au cours des révoltes urbaines. Un appel à la répression qui montre la méconnaissance du rôle des magistrats dans l’individualisation tant des modes de poursuites que des peines prononcées.

Le ministre a ensuite le 18 juillet devant la représentation nationale puis hier à l’occasion de son passage sur RTL, rendu hommage à la fermeté des décisions des procureurs généraux et s’est félicité du taux de 95% de condamnations, des 1 300 déferrements au parquet, des 905 comparutions immédiates et des 742 peines d’emprisonnement ferme prononcées dans ce contexte de révoltes. C’est ici se réjouir d’une justice à deux vitesses qui s’inscrit dans un véritable emballement médiatico-judiciaire.

Vanter les mérites de la comparution immédiate, c’est promouvoir une procédure discriminante à l’égard d’hommes, jeunes, étrangers ou d’origine étrangère, sans emploi, résidant dans des zones géographiques défavorisées. C’est se réjouir d’un jugement biaisé, dans des conditions hautement défavorables aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peine et qui entraine in fine une probabilité d'être incarcéré huit fois plus importante que les autres modes de jugement. C’est feindre d’ignorer l’impact concret de la prison sur ces personnes avec un enfermement 23 heures sur 24 à deux ou trois dans 9m2 sans activité ou presque, et où les possibilités d'accompagnement et de maintien d'un lien social sont mises à rude épreuve.

Nous, acteurs et actrices du milieu prison-justice, nous désolons de constater que le garde des Sceaux rend compte de l’action de la justice par une succession de chiffres censés représenter la fermeté et l’efficacité de l’action étatique. Il alimente ainsi l’idée simpliste selon laquelle la prison est la seule réponse efficace à la délinquance. Pourtant, de nombreuses études révèlent qu’elle augmente la récidive plus qu’elle ne la prévient. La loi pénale érige d’ailleurs le prononcé de l’emprisonnement comme un dernier recours, ne devant être utilisé que lorsque toutes les autres peines seraient insuffisantes à remplir les objectifs qui leur sont assignés.

Au-delà de l’indécence à se prévaloir de placements massifs de personnes – parfois mineures – en détention alors même que la France ne cesse d’être condamnée par les juges européens pour les conditions indignes de ses prisons et sa surpopulation carcérale structurelle, il est ici éludé avec soin qu’au 1er juin, sept personnes sur dix s’entassent dans des maisons d’arrêt dont le taux d’occupation moyen frôle les 145 % et que plus de 2 300 personnes sont contraintes de dormir sur un matelas à même le sol.

Alors qu’un récent rapport parlementaire, qui s’ajoute aux précédents, vient souligner la nécessité de favoriser les peines alternatives à la prison qui sont les plus efficaces pour prévenir la récidive, le garde des Sceaux promeut le tout carcéral.

Alors que c’est précisément à la Justice qu’en appellent les citoyens, nous acteurs et actrices du monde judiciaire ne pouvons que dénoncer ce discours relevant du populisme pénal. A l’heure où la surpopulation carcérale ne cesse de croitre avec le triste record 73 699 personnes détenues, la seule solution proposée est la création de 18000 places de prison, solution pourtant encore récemment critiquée par le comité des ministres du conseil de l’Europe.

Le vrai courage politique eut été de soutenir un mécanisme de régulation carcérale.

 

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