De l’indécence à se prévaloir de 742 peines d’emprisonnement ferme en réponse aux révoltes urbaines

Alors que le pays s’est embrasé après la mort de Nahel, tué par un policier dans un contexte de refus d’obtempérer, le garde des Sceaux a exigé des parquets « une réponse rapide, ferme et systématique » aux actes de délinquance commis au cours des révoltes urbaines. Un appel à la répression qui montre la méconnaissance du rôle des magistrats dans l’individualisation tant des modes de poursuites que des peines prononcées.

Le ministre a ensuite le 18 juillet devant la représentation nationale puis hier à l’occasion de son passage sur RTL, rendu hommage à la fermeté des décisions des procureurs généraux et s’est félicité du taux de 95% de condamnations, des 1 300 déferrements au parquet, des 905 comparutions immédiates et des 742 peines d’emprisonnement ferme prononcées dans ce contexte de révoltes. C’est ici se réjouir d’une justice à deux vitesses qui s’inscrit dans un véritable emballement médiatico-judiciaire.

Vanter les mérites de la comparution immédiate, c’est promouvoir une procédure discriminante à l’égard d’hommes, jeunes, étrangers ou d’origine étrangère, sans emploi, résidant dans des zones géographiques défavorisées. C’est se réjouir d’un jugement biaisé, dans des conditions hautement défavorables aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peine et qui entraine in fine une probabilité d'être incarcéré huit fois plus importante que les autres modes de jugement. C’est feindre d’ignorer l’impact concret de la prison sur ces personnes avec un enfermement 23 heures sur 24 à deux ou trois dans 9m2 sans activité ou presque, et où les possibilités d'accompagnement et de maintien d'un lien social sont mises à rude épreuve.

Nous, acteurs et actrices du milieu prison-justice, nous désolons de constater que le garde des Sceaux rend compte de l’action de la justice par une succession de chiffres censés représenter la fermeté et l’efficacité de l’action étatique. Il alimente ainsi l’idée simpliste selon laquelle la prison est la seule réponse efficace à la délinquance. Pourtant, de nombreuses études révèlent qu’elle augmente la récidive plus qu’elle ne la prévient. La loi pénale érige d’ailleurs le prononcé de l’emprisonnement comme un dernier recours, ne devant être utilisé que lorsque toutes les autres peines seraient insuffisantes à remplir les objectifs qui leur sont assignés.

Au-delà de l’indécence à se prévaloir de placements massifs de personnes – parfois mineures – en détention alors même que la France ne cesse d’être condamnée par les juges européens pour les conditions indignes de ses prisons et sa surpopulation carcérale structurelle, il est ici éludé avec soin qu’au 1er juin, sept personnes sur dix s’entassent dans des maisons d’arrêt dont le taux d’occupation moyen frôle les 145 % et que plus de 2 300 personnes sont contraintes de dormir sur un matelas à même le sol.

Alors qu’un récent rapport parlementaire, qui s’ajoute aux précédents, vient souligner la nécessité de favoriser les peines alternatives à la prison qui sont les plus efficaces pour prévenir la récidive, le garde des Sceaux promeut le tout carcéral.

Alors que c’est précisément à la Justice qu’en appellent les citoyens, nous acteurs et actrices du monde judiciaire ne pouvons que dénoncer ce discours relevant du populisme pénal. A l’heure où la surpopulation carcérale ne cesse de croitre avec le triste record 73 699 personnes détenues, la seule solution proposée est la création de 18000 places de prison, solution pourtant encore récemment critiquée par le comité des ministres du conseil de l’Europe.

Le vrai courage politique eut été de soutenir un mécanisme de régulation carcérale.

 

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En 2016, le gouvernement annonçait la construction de 10 000 nouvelles places de prison pour l’horizon 2024 alors que, au mépris du principe de l’encellulement individuel et de la dignité des personnes, près de 15 000 personnes étaient en surnombre et une quarantaine de maisons d’arrêt connaissaient un taux d’occupation de plus de 150%.

Au 1er avril 2024, le constat est sans appel : 73 080 personnes sont détenues pour 60 899 places opérationnelles soit une densité carcérale globale est de 120 %, contre 117 % il y a un an et 118 % le 1er mars, certaines maisons d’arrêt dépassant les 200 % de suroccupation.

La construction de prison est donc une vieille recette qui a déjà fait la preuve de son inefficacité et que les gouvernements successifs continuent pourtant de servir comme la seule solution pragmatique et ce en dépit des résultats de nombreuses études et statistiques qui la pointent au contraire comme inopérante, que ce soit pour endiguer la surpopulation carcérale ou pour réduire la récidive.

Ainsi depuis 25 ans, près de 30 000 places de prison ont été construites, un effort immobilier inédit entraînant une hausse de 60 % du parc pénitentiaire. Sans effet cependant sur la surpopulation car dans le même temps, le pays a emprisonné toujours plus et de plus en plus longtemps, sous le coup de politiques pénales essentiellement répressives1.

En France comme ailleurs, la courbe du nombre de personnes détenues n’est pas tant liée à celle de la délinquance qu’aux choix de politiques pénales de l’exécutif. Des politiques qui se sont concrétisées dans notre pays par l’allongement de la durée moyenne de détention et par une incarcération massive pour des petits délits.

 

La loi de programmation Justice 2018 comportait également des dispositions visant à accélérer la construction de places de prison et prévoyait la création de 20 nouveaux centres fermés pour enfants et adolescents.

Or, plus on crée de places d’enfermement, plus on enferme et ces lieux de relégation sont criminogènes et ne favorise pas la réinsertion. La prison aggrave l’ensemble des facteurs de délinquance en fragilisant les liens familiaux, sociaux ou professionnels, favorise les fréquentations criminogènes, et n’offre qu’une prise en charge lacunaire – voire inexistante – face aux nombreuses problématiques rencontrées par la population carcérale en matière d’addiction, de troubles psychiatriques, d’éducation, de logement, d’emploi, etc.

Tandis que les moyens manquent cruellement aux personnels et aux structures qui assurent l’accompagnement socio-éducatif et l’hébergement des sortants de prisons et personnes condamnées en milieu ouvert, le gouvernement engloutit des milliards d’euros dans l’accroissement et la sécurisation du parc pénitentiaire.

Pour lutter efficacement contre l’inflation de la population pénale et carcérale, nous rappelons que c’est d’une politique pénale humaniste, ambitieuse et audacieuse, visant à investir massivement dans la prévention, l’accompagnement et le suivi en milieu ouvert, dont notre société a besoin et que nous développerons ci-après.

1En onze ans, 3 600 infractions pénales nouvelles, de la contravention de première classe au crime, ont été ajoutées à l’arsenal existant, représentant une hausse de 31 %, selon la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice. 120 infractions ont été créées ou durcies durant la législature 2017-2022.

 

 

Nos observations détaillées ici : Observations du Syndicat de la magistrature dans le cadre du contrôle budgétaire par la commission des finances le 23 mai 2023 et de la création de 15000 places de détention supplémentaires (183.8 KB) Voir la fiche du document

Partant du constat que la peine de référence demeure l’emprisonnement et que les réformes successives ont échoué à endiguer la surpopulation carcérale, les peines dites alternatives n’ayant eu pour seul effet que de mordre sur les mesures de suivi en milieu libre ou les remises en liberté, nous avons tenté d’identifier les causes de cette surpopulation et de l’échec de la politique menée en la matière.

Nous avons formulé nos propositions pour endiguer le phénomène et  détaillé le mécanisme contraignant que nous portons depuis des années, régulant les sorties de détention lorsque le nombre de détenus dépasse le nombre de places ouvertes pour assurer un encellulement individuel.

 			
			                        
                                                        Nos observations sur la régulation carcérale (149.88 KB)                        
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