Justice pénale

La surpopulation dans les prisons atteint des sommets et, seul contre tous, le gouvernement rejette explicitement la seule option qui permettrait de les désengorger dans l’urgence : un dispositif contraignant de régulation de la population carcérale. 34 associations, syndicats et institutions lui demandent de s’y résoudre.

Alors que la surpopulation rend la situation des prisons explosive, les appels convergent de toutes parts : il est urgent de mettre en place un mécanisme qui contraigne les acteurs judiciaires et pénitentiaires à réguler la population carcérale. Eux-mêmes le demandent, aux côtés de tous les acteurs de terrain.

Ils ne sont pas seuls : de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme au Contrôle général des lieux de privation de liberté, en passant par le Conseil économique, social et environnemental ou encore des parlementaires[1], tous exhortent le gouvernement à avoir le courage politique d’agir. Le 10 octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invitait elle aussi « les autorités à expérimenter un mécanisme contraignant de régulation carcérale ».

Mais cette unanimité se heurte à un gouvernement plus sourd que jamais : « la France ne souhaite pas instituer un mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale, lié à un seuil de criticité, qui pourrait attenter au principe de l’individualisation des peines et fragiliser la sécurité publique », assume-t-il dans un document adressé le 1er septembre au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. La fin de non-recevoir est claire.

En réalité, aucun des dispositifs contraignants de régulation carcérale proposés n’empêcherait les magistrats de continuer à rendre leurs décisions au cas par cas. La libération de nombreuses personnes détenues en fin de peine pendant la crise sanitaire liée au Covid-19 a montré que, loin d’être risquée, une telle opération pouvait produire des effets rapides à la mesure de l’urgence. À l’inverse des politiques mises en place depuis des dizaines d’années, que les autorités françaises entendent poursuivre en dépit d’un résultat dramatique : sur les 73 693 personnes détenues au 1er septembre, près de 50 000 s’entassaient dans des prisons où le taux moyen d’occupation frôle 145%, et 2 361 dormaient sur des matelas à même le sol.

Il n’est plus possible d’accepter qu’en France, les personnes détenues soient soumises à des conditions inhumaines. Sans attendre les nécessaires réformes de fond, une solution d’urgence existe et fait l’objet d’un large consensus : une régulation carcérale, qui doit absolument être contraignante pour produire des effets. Il est grand temps que le gouvernement s’en saisisse.

 

Surpopulation carcérale : seul contre tous, le gouvernement s’oppose à une solution d’urgence (357.78 KB)

 

 

 

 

Il est des attaques auxquelles on ne doit jamais s’habituer.

Hier soir, Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, relayé par le préfet de police de Paris, est monté d’un cran dans l’échelle des attaques à l’autorité judiciaire.

Alors qu’un policier a été placé en détention provisoire par un juge des libertés et de la détention à Marseille après sa mise en examen pour des faits de violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme, le DGPN, placé sous la tutelle du ministre de l’Intérieur, a ainsi déclaré : « de façon générale, je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail ».

Ce faisant, il remet publiquement en cause le principe d’égalité devant la loi, utilise sa position institutionnelle pour porter atteinte à l’autorité judiciaire auprès des citoyens et bafoue les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice.

Les juges judiciaires, garants constitutionnels des libertés individuelles, doivent pouvoir exercer leurs missions en toute indépendance, sans autre jalon que celui de la loi, qui en matière de détention provisoire prévoit les mêmes critères pour tous les justiciables, y compris les membres des forces de l’ordre dès lors qu’ils se voient reprocher des délits ou des crimes. Voulons-nous d’une justice qui agit sous l’influence de telle autorité ou tel groupe de pression, ou d’une justice appliquant rigoureusement la loi en toute impartialité ?

Nous attendons du Président de la République qu’il dénonce fermement cette attaque inédite à la séparation des pouvoirs. Il en va de la sauvegarde de l’État de droit.

 

  CP en réaction aux propos du DGPN (57.56 KB) Voir la fiche du document

De l’indécence à se prévaloir de 742 peines d’emprisonnement ferme en réponse aux révoltes urbaines

Alors que le pays s’est embrasé après la mort de Nahel, tué par un policier dans un contexte de refus d’obtempérer, le garde des Sceaux a exigé des parquets « une réponse rapide, ferme et systématique » aux actes de délinquance commis au cours des révoltes urbaines. Un appel à la répression qui montre la méconnaissance du rôle des magistrats dans l’individualisation tant des modes de poursuites que des peines prononcées.

Le ministre a ensuite le 18 juillet devant la représentation nationale puis hier à l’occasion de son passage sur RTL, rendu hommage à la fermeté des décisions des procureurs généraux et s’est félicité du taux de 95% de condamnations, des 1 300 déferrements au parquet, des 905 comparutions immédiates et des 742 peines d’emprisonnement ferme prononcées dans ce contexte de révoltes. C’est ici se réjouir d’une justice à deux vitesses qui s’inscrit dans un véritable emballement médiatico-judiciaire.

Vanter les mérites de la comparution immédiate, c’est promouvoir une procédure discriminante à l’égard d’hommes, jeunes, étrangers ou d’origine étrangère, sans emploi, résidant dans des zones géographiques défavorisées. C’est se réjouir d’un jugement biaisé, dans des conditions hautement défavorables aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peine et qui entraine in fine une probabilité d'être incarcéré huit fois plus importante que les autres modes de jugement. C’est feindre d’ignorer l’impact concret de la prison sur ces personnes avec un enfermement 23 heures sur 24 à deux ou trois dans 9m2 sans activité ou presque, et où les possibilités d'accompagnement et de maintien d'un lien social sont mises à rude épreuve.

Nous, acteurs et actrices du milieu prison-justice, nous désolons de constater que le garde des Sceaux rend compte de l’action de la justice par une succession de chiffres censés représenter la fermeté et l’efficacité de l’action étatique. Il alimente ainsi l’idée simpliste selon laquelle la prison est la seule réponse efficace à la délinquance. Pourtant, de nombreuses études révèlent qu’elle augmente la récidive plus qu’elle ne la prévient. La loi pénale érige d’ailleurs le prononcé de l’emprisonnement comme un dernier recours, ne devant être utilisé que lorsque toutes les autres peines seraient insuffisantes à remplir les objectifs qui leur sont assignés.

Au-delà de l’indécence à se prévaloir de placements massifs de personnes – parfois mineures – en détention alors même que la France ne cesse d’être condamnée par les juges européens pour les conditions indignes de ses prisons et sa surpopulation carcérale structurelle, il est ici éludé avec soin qu’au 1er juin, sept personnes sur dix s’entassent dans des maisons d’arrêt dont le taux d’occupation moyen frôle les 145 % et que plus de 2 300 personnes sont contraintes de dormir sur un matelas à même le sol.

Alors qu’un récent rapport parlementaire, qui s’ajoute aux précédents, vient souligner la nécessité de favoriser les peines alternatives à la prison qui sont les plus efficaces pour prévenir la récidive, le garde des Sceaux promeut le tout carcéral.

Alors que c’est précisément à la Justice qu’en appellent les citoyens, nous acteurs et actrices du monde judiciaire ne pouvons que dénoncer ce discours relevant du populisme pénal. A l’heure où la surpopulation carcérale ne cesse de croitre avec le triste record 73 699 personnes détenues, la seule solution proposée est la création de 18000 places de prison, solution pourtant encore récemment critiquée par le comité des ministres du conseil de l’Europe.

Le vrai courage politique eut été de soutenir un mécanisme de régulation carcérale.

 

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Mort de Nahel : ce n’est pas à la justice d’éteindre une révolte

Communiqué de presse

 

Hier laxiste, endoctrinée, politisée, accusée de tous les maux, la justice serait donc de nouveau parée de ses vertus pacificatrices ?

Ne nous y trompons pas. Cette rhétorique du « respect du travail de la justice », servie ad nauseam par le Gouvernement, le chef de l’État, certains syndicats de police et tous les détracteurs habituels de l’indépendance de la justice ne sert qu’un objectif : celui de ne pas regarder en face la question systémique que soulève, une fois encore, la mort d’un adolescent d’un quartier populaire sous les balles de la police.

Comment ne pas analyser cette soudaine déférence à l’égard de la justice comme une instrumentalisation et une lamentable dérobade ?

Au-delà de la question du traitement judiciaire de l’affaire, la question que pose la mort d’un adolescent tué par un policier après un refus d’obtempérer est bel et bien politique.

L’institution judiciaire n’est évidement pas exempte de critiques. Elle doit s’efforcer de lutter contre ses propres défaillances dans le traitement des violences policières. Elle doit cultiver chaque jour son indépendance, y compris à l’égard de la police. Elle doit combattre – et non se laisser emporter – par ce réflexe de criminalisation des victimes complaisamment relayé par certains médias. Mais elle ne peut rien, ou si peu, contre un discours politique délétère qui nie l’existence même des violences policières ou des pratiques discriminatoires des forces de l’ordre.

L’autorité judiciaire pâtit, loi après loi, de la construction d’un ordre policier qui rogne sur les droits et libertés des citoyens, les prive de l'accès à la justice et empêche un réel contrôle judiciaire de la police, au nom de la sécurité.

Le Syndicat de la magistrature demande :

  • l’abrogation de l’alinéa 4 de l’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure qui permet l’usage des armes en cas de refus d’obtempérer. La hausse terrifiante des morts et blessés par des tirs policiers dans le cadre de contrôles routiers sont autant de preuves tragiques d’une insécurité grandissante pour les citoyens dans leurs relations avec la police ;

  • l’inscription dans la loi du principe d’un dépaysement de toute enquête sur des violences policières et dans l’attente que ce dépaysement soit obligatoire, qu’il soit systématiquement décidé par les procureurs généraux. Comment un magistrat, procureur ou juge d’instruction, qui travaille au quotidien avec les policiers de son ressort et leur hiérarchie peut-il rester impartial lorsqu’il doit enquêter sur l’un d’eux ?

  • la création d’un service d’enquête indépendant ; les spécialistes des questions de sécurité, les institutions chargées de veiller à la déontologie des forces de sécurité, les exemples étrangers, plaident tous pour un tel modèle, à l’exact opposé de l’IGPN.

Nous appelons plus que jamais à des réformes profondes dans les pratiques policières et judiciaires, seule voie pour restaurer la confiance des citoyens dans leur police et leur justice.

 

Mort de Nahel - Ce n'est pas à la justice d'éteindre une révolte (66.67 KB) Voir la fiche du document