Indépendance et service public de la justice

Depuis la publication du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseils privés sur les politiques publiques remis le 16 mars 2022, le président de la République et les membres de son gouvernement sont interpellés publiquement sur ces dérives coûteuses, manifestement non contrôlées, et dont l’utilité pour la conception et le pilotage des politiques publiques est loin d’être toujours au rendez-vous.

Notre ministère n’a pas échappé à cette tendance puisque ses dépenses vers les cabinets de conseil ont triplé entre 2018 et 2021. Dans un contexte de pénurie généralisée des moyens en juridictions, l’utilisation des deniers du ministère en « consultations citoyennes », « accompagnement au changement » ou « conception d’un baromètre social » nous interpelle fortement. Les états généraux de la justice en sont l’archétype et la dépense de près d’un million d’euros pour la consultation de citoyens, eux-mêmes peu convaincus de l’utilité de la démarche, dont les conclusions sont déjà largement connues de tous, confine au scandale.

Vous trouverez ci-joint notre analyse pour ce qui concerne le recours aux cabinets de conseil par le ministère de la justice dans une tribune diffusée sur notre blog Médiapart, à la suite d’un article du journal publié la veille sur ce sujet.

Tribune cabinets de conseil et MJ () Voir la fiche du document

Alors que la transparence annuelle sortie le 18 février dernier en a surpris plus d'un – par les postes n'y figurant pas – et que la transparence complémentaire annoncée se fait toujours attendre, un article publié dans Le Monde hier a révélé des faits pouvant être qualifiés d’atteinte grave à l’indépendance de l’autorité judiciaire par le pouvoir exécutif.

CP pénal justice de proximité 17 02 22 () Voir la fiche du document

En décembre 2020, à la suite de l’opération de communication menée par le garde des Sceaux pour accompagner la sortie de sa circulaire dédiée à la justice de proximité – entendue uniquement comme une justice pénale – nous avions d’ores et déjà pu établir quelques pronostics sur le futur discours du ministère dans les mois suivants.

La circulaire en question imposait aux parquets des efforts et des remontées statistiques sur des items précis, permettant d’ores et déjà de prédire ce que seraient les formules chocs dans la bouche de notre garde des Sceaux : les audiences foraines ont augmenté, les mesures de réparation se sont multipliées tandis que les simples rappels à la loi auront diminué. 

A la lecture du communiqué de presse de ce jour, un seul mot : BINGO !

Enfin, à ceci près que le communiqué en question se garde bien d’effectuer des comparaisons avec les années précédentes pour bon nombre des items concernés. Les audiences foraines sont d’ailleurs opportunément rebaptisées « audiences hors les murs du tribunal judiciaire », ce qui permet d’y inclure toutes les audiences qui se tenaient précédemment déjà au sein des ex-tribunaux d’instance.

Au-delà des statistiques, rien ne permet d’évaluer l’efficacité de ladite « justice de proximité » en matière pénale, ni son apport qualitatif. Le ministère se contente à nouveau d’assener des affirmations présentées comme des vérités – comme le supposé sentiment d’impunité des auteurs de ces contraventions et petits délits. Aucune analyse en revanche du casse-tête que devient la détermination de la juridiction amenée à juger une infraction, quand il s’agit de faire du cas par cas, infraction par infraction, entre le tribunal de proximité et le tribunal judiciaire, le tout sur la base d’une simple circulaire. 

Aucune démonstration non plus du fait que l’accélération de la réponse pénale pour ces petits délits et contraventions – dont les délais étaient au demeurant moindres que pour d’autres infractions – aurait un impact en termes de prévention de la récidive. Enfin, aucune mention du reste du champ de la justice pénale, portant sur des infractions bien plus graves. Ainsi, les dossiers correctionnels complexes – notamment issus de l’instruction – et les dossiers criminels, sont ceux dont les délais de jugement apparaissent les plus importants, comme l’inspection générale de la justice a pu le noter dans ses rapports sur le diagnostic de l’état des stocks dans les juridictions. Pour autant, nous attendons toujours que le ministère nous communique des statistiques précises à ce sujet, qui semble bien moins le préoccuper que les petites incivilités…