Indépendance et service public de la justice

Le Parlement a adopté les 10 et 11 octobre derniers, en procédure accélérée, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et le projet de loi organique relative à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, qui avaient tous deux été présentés en conseil des ministres le 3 mai 2023.

Souvent présentés comme consensuels car étant le résultat des travaux issus des « états généraux de la justice » ces textes ont en réalité été profondément remaniés par le travail parlementaire, dans un calendrier particulièrement contraint, lourdement perturbé par le contexte politique et social de leur adoption, puis par les élections sénatoriales intervenues avant la réunion de la commission mixte paritaire.

Ainsi, en définitive, les textes adoptés traduisent surtout des choix politiques et économiques et si certaines dispositions peuvent être saluées, plusieurs d’entre elles n’ont finalement ni pour objet ni pour effet de répondre aux constats dressés par le comité des états généraux de la justice mais pourraient, au contraire, fragiliser encore davantage l’institution en crise qu’elles se proposent pourtant de réparer.

Parmi les dispositions concernées, certaines nous paraissent, surtout, contraires à la Constitution et c’est là l’objet de la contribution extérieure que nous avons adressée au Conseil constitutionnel, et que vous trouverez ci-dessous.

Porte étroite - lois post-EGJ (218.36 KB)

Le 9 février 2022, en pleine séquence post-tribune des 3000 et États généraux de la Justice, notre syndicat avait déposé une plainte devant la Commission européenne contre l’État français (ministère de la Justice) pour manquement à la législation de l’Union Européenne concernant le temps de travail des magistrats, conjointement avec l’USM, l’AFMI (association française des magistrats instructeurs) et l’AFMJF (association française des magistrats de la jeunesse et de la famille).

Les quatre organisations plaignantes ont été entendues le 25 septembre dernier, à Bruxelles, par la direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion de la Commission européenne (unité droit du travail).

Si nous n’avons pas eu accès aux observations de l’État français – que le ministère a refusé de nous communiquer malgré notre demande, les échanges avec la Commission nous ont permis de comprendre que notre ministère soutient sans rougir que les magistrat·es sont des « travailleurs autonomes » au sens de la réglementation européenne et peuvent donc, tels des cadres dirigeants, organiser leur temps de travail à leur guise. Il soutient aussi qu’une réglementation trop tatillonne de la durée du travail risquerait de porter atteinte à l’indépendance de la justice.

Nous avons déconstruit le portrait fallacieux dressé par le ministère de la justice de nos conditions de travail dans les juridictions, en nous attardant particulièrement sur le lien de subordination entre les magistrats et leur hiérarchie dans l’organisation administrative. A l’inverse de ce que soutient notre ministère, nous avons expliqué que l’absence de toute limite à nos charge et temps de travail nous conduit à juger en « mode dégradé » et à faire des choix de contentieux ou des renoncements qui nuisent à notre indépendance.

Vous trouverez nos observations, auxquelles nous avons annexé de nombreux documents démontrant l’absence d’autonomie des magistrats (ordonnance de roulement fixant les audiences, permanences, périodes de congés imposées par note interne, applicatifs comme Pilot et autres moyens de contrôle, etc.), le caractère hiérarchisé de notre organisation administrative et les manquements de l’État-employeur à toutes les garanties minimales fixées par la réglementation européenne en matière de temps de travail (durée hebdomadaire du travail, temps de repos minimum, amplitude horaire journalière, etc.).

La séance s’est conclue par l’annonce d’une mandature finissante à l’approche des prochaines élections européennes et ainsi d’un aléa quant à la possibilité pour la Commission d’émettre un avis avant cette échéance. La capacité des institutions européennes à faire respecter le droit est incertaine tandis que le ministère profite de ce délai pour ne pas se saisir de la problématique. En attendant, nous pouvons continuer de travailler jour et nuit au mépris de la réglementation européenne.

Observations Commission européenne (344.86 KB)

CP Silence dans les rangs

Le parcours législatif des projets de loi de programmation pour la justice et de loi organique touche à sa fin, la commission mixte paritaire ayant adopté un texte jeudi dernier qui sera très prochainement soumis au vote solennel des deux assemblées.
 
Vous trouverez ci-dessous notre communiqué de presse concernant l'une des dispositions nouvellement créées par la commission mixte paritaire, relative à la liberté d'expression des magistrats.
 
CP Silence dans les rangs ! (82.51 KB)

Lors du CSA-SJ du 14 septembre, les organisations syndicales ont été invitées à donner leur avis sur l’avant-projet de décret instaurant des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel, avant transmission au Conseil d’État.

Si notre syndicat s’est positionné en faveur du principe de la mise en place de ces pôles qui, comme leur nom l’indique, ont vocation à assurer une meilleure spécialisation des magistrat·es ayant à connaître du contentieux des violences intrafamiliales, nous avons, avec la CGT, fait le choix de nous abstenir au moment du vote. En effet, l’extrême souplesse, revendiquée par la direction des services judiciaires, des dispositions de l’avant-projet de décret a pour conséquence non pas d’assurer la garantie d’un meilleur traitement de ces violences, mais d’entériner des pratiques qui existent déjà dans de nombreuses juridictions et que l’on sait insuffisantes.

Ainsi, par exemple, l’avant-projet de décret reste extrêmement superficiel concernant la composition des pôles, la « spécialisation » de leurs membres en termes de formation, ainsi que la périodicité des réunions du comité de pilotage unique d’évaluation et de suivi. En outre, les membres des « pôles » ne bénéficieront pas nécessairement d’un temps dédié pour mener à bien leurs nouvelles missions.

Craignant que la création de pôles spécialisés relève surtout de l’affichage politique plutôt que d’une réelle volonté d’améliorer en profondeur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, nous avons formulé des observations et propositions que vous trouverez ci-dessous.

  Observations du Syndicat de la magistrature relatives à l’avant-projet de décret en Conseil d’État instaurant des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales (174.35 KB)