Indépendance et service public de la justice
Notre réponse à la proposition d'audition des ateliers statut et organisation de la justice
Nous reproduisons ici notre réponse à la proposition de contribution des ateliers thématiques statut et missions, et organisation de la justice, dont les lettres de mission figurent en pièces jointes.
Messieurs les premiers présidents,
Nous estimons que la construction de ces états généraux - qui a eu lieu dans le plus grand secret - a été pensée dans le dessein de promouvoir les projets de la majorité en place et du ministre de la justice en leur donnant faussement l'apparence d'orientations demandées par les citoyens après une consultation associant les professionnels. Nous avons analysé avec précision cette construction - programmatique - dans plusieurs communications que vous retrouverez en pièce jointe.
Dans ces conditions, nous avons demandé audience auprès du comité indépendant, qui sera le réceptacle des contributions (précédemment orientées par la chancellerie, puis, pour les contributions individuelles, filtrées et résumées par un prestataire privé, et pour les contributions thématiques fusionnées selon des modalités inconnues dans les "ateliers de convergence" avec des citoyens triés sur le volet) et l'instance d'élaboration des propositions finales, afin de développer ces critiques sur la méthodologie et de faire part de nos fondamentaux sur le fond.
Enfin, la question du statut du parquet laisse de côté d'innombrables autres sujets relatifs au statut et aux garanties d'indépendance - ce mot ne figurant même pas dans votre lettre de mission alors qu'il devrait être le noeud d'une réflexion sur les statuts, par exemple, pour n'en citer que quelques-uns, la composition et les pouvoirs du CSM, la nomination des magistrats du siège laissée à l'initiative de la DSJ, la procédure disciplinaire, la politique de ressources humaines et la filiarisation, l'évaluation des magistrats, la question de la démocratie en juridiction, la question du juge naturel (afin qu'un magistrat ne se voit pas dépossédé de son service ou de ses dossiers),...
Enfin, la question du maillage territorial administratif est en effet dans l'air du temps, le garde des Sceaux n'ayant pas manqué de l'aborder dans son discours - elle justifie aussi actuellement le projet d'une départementalisation de la police judiciaire qui ne manquera pas de causer des effets catastrophiques sur les moyens attribués par le ministère de l'Intérieur à la police d'investigation. La question du rattachement de la police judiciaire à la justice n'a semble-t-il pas été envisagée pour une meilleure "cohérence" de l'action publique.
Quels que soient le positionnement des membres des ateliers sur le fond et leur volonté de mener un travail indépendant, il nous apparait ainsi clairement que vos contributions seront noyées et digérées, et qu'il n'en sera gardé que ce qui va dans le sens voulu par le pouvoir en place. D’ailleurs, il ne vous est pas laissé le temps de livrer une véritable élaboration - comment écrire sur des sujets aussi vastes alors qu’il vous est demandé de mener six réunions en un mois et demi, que vous consacrerez également à mener quelques auditions succinctes? Nous savons que certains membres des ateliers n’ont pu participer aux premières réunions, puisque celles-ci ont été de fait programmées de manière précipitée en raison du calendrier imposé par la chancellerie. Nous ne pouvons ainsi laisser penser à travers une audition par les membres de vos ateliers que nous admettons la manière dont ces travaux sont organisés. Notre seul recours dans ce contexte est le comité indépendant.
Nous vous adressons néanmoins les écrits que nous avons déjà réalisés sur les thèmes de vos ateliers - des propositions, nous en faisons depuis longtemps :
- Les nécessaires réformes propres à garantir l'indépendance de la justice : https://www.syndicat-magistrature.fr/notre-action/independance-et-service-public-de-la-justice/independance/2177-commission-denquete-sur-les-obstacles-a-lindependance-de-la-justice--notre-audition.html
- Nos propositions sur les réformes statutaires qui peuvent être effectués avant même une réforme constitutionnelle : https://www.syndicat-magistrature.fr/component/edocman/csm5/download.html?Itemid=
- Nos observations sur la responsabilité des magistrats : https://www.syndicat-
- Nos propositions sur l'administration de la justice (pages 17 à 32 de notre plateforme globale de propositions "pour une révolution judiciaire"), et notamment les moyens, l'architecture judiciaire, la transformation des juridictions en établissement publics judiciaires, la lisibilité et accessibilité de la justice, la déjudiciarisation pertinente et maîtrisée...) : https://www.
Nous vous remercions par avance de bien vouloir diffuser notre réponse aux membres des ateliers que vous animez.
Cordialement,
Etats généraux de la justice : de questionnaires en questionnaires, on est tombé bien bas
A la lumière des sollicitations que nous avons pu recevoir de la plupart d'entre eux, vous trouverezci-dessous notre réaction sous forme de communiqué de presse, tout confirmant pour le moment les craintes que nous avons exprimées sur la vaste opération de communication de campagne électorale et de destruction toujours plus grande de l'institution judiciaire que constituent ces états généraux.

Le questionnaire que nous avons reçu de l'atelier "Simplification de la procédure pénale" est tout particulièrement éloquent. A sa lecture, en déchiffrant, ligne par ligne, cette recette mijotée pour empoisonner la justice pénale, la première réaction est de retourner le document à l’expéditeur en répondant simplement « Non » à toutes les questions. Non, nous ne voulons pas d’une justice déshumanisée et automatisée. Non, nous ne voulons pas d’une justice qui n’est plus en mesure de protéger les libertés. Non, nous ne voulons pas d’une justice qui n’assure pas l’égalité des citoyens devant la loi.
Il est en réalité illusoire de répondre lorsque le projet pour la justice pénale est tout entier contenu dans la teneur même des questions. Le Syndicat de la magistrature, qui a déjà rédigé des observations détaillées et complètes sur la réforme de la procédure pénale dans le cadre de la commission Mattei l’année dernière, ne se prêtera pas à cette pantalonnade, et réservera son analyse sur ce processus et les véritables besoins de la justice au Comité des états généraux, auprès duquel il a obtenu audience.
CP EGJ Ateliers thématiques et procédure pénale () Voir la fiche du document
Budget 2022 : quel sens des priorités ?
Le garde des Sceaux s’en est donné à coeur joie ces dernières semaines dans les médias ou à l’Assemblée nationale, le budget de la mission justice pour l’année 2022 est un « doublé historique », et il en est « fier ».
En effet, avec 8 % d’augmentation par rapport au budget de l’année 2021, le budget de la mission justice devrait atteindre 8861,8 millions d’euros en 2022, hors compte d’affectation spéciale pensions, soit 561,3 millions de plus que ce qui n’était prévu dans la loi de programmation 2018-2022. Si la justice demeure un petit budget, par rapport à celui de la sécurité par exemple qui atteint 21.579,7 millions, il s’agit d’une des augmentations de budget les plus importantes de ce projet de loi de finances.
Cette augmentation conséquente du budget ne revient néanmoins que pour une part bien plus mesurée à la justice judiciaire. En effet, par rapport à l’an dernier où le budget de la justice judiciaire avait progressé de 6 %, la progression cette année de ce programme n’est que de 3,4 %, faisant passer le budget de 3720,8 millions à 3849,1 millions. A titre de comparaison l’administration pénitentiaire connaît en revanche encore une fois une très forte progression, de 7,4 %, et demeure le programme dont le budget est le plus important de la mission, avec 4584 millions. Encore une fois, ce budget est donc essentiellement tourné vers l'enfermement, avec la poursuite du projet de création de 15000 places de prison, et des crédits conséquents consacrés à la sécurisation des établissements pénitentiaires. Le même objectif apparaît clairement dans la répartition du budget alloué à la PJJ, l'essentiel des crédits et des créations d'emplois venant encore une fois alimenter les centres éducatifs fermés.
L’examen détaillé de l’allocation de ces budgets apparaît par ailleurs toujours aussi inquiétant en termes de priorités dégagées par le gouvernement pour la justice judiciaire. Encore une fois, les indicateurs choisis, tournés uniquement vers la productivité des juridictions, ne peuvent à terme que contribuer à une dégradation importante de la qualité du service public de la justice.
Enfin, en dépit des effets d'annonce du garde des Sceaux selon lesquels nous ne serions "pas loin du bon chiffre" en termes d'effectifs, force est de constater que la justice française reste très peu dotée au regard de ses homologues européennes. Ainsi, le rapport de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) de 2020, portant sur les données de 2018, établit que la France consacre 69,5 euros par habitant au budget de la justice judiciaire, alors que la moyenne des pays du Conseil de l’Europe se situe à 71 euros par habitant, et que la moyenne des pays du même groupe que la France, dont le PIB/habitant est compris entre 20.000 et 40.000 euros, se situe à 84,13 euros par habitant. En termes d'effectifs, la France atteint 10,9 juges et 3 procureurs pour 100.000 habitants, quand la moyenne européenne est à 21,4 et 12,13 et la médiane à 17,7 et 11,2. En outre, la CEPEJ établit dans son rapport que contrairement à ce que l’on pourrait intuitivement penser, les pays dont le nombre magistrats est moins élevé ne compensent pas véritablement par un nombre de "personnels non-juge plus élevé". Ainsi, la France compte en moyenne 34,9 "personnels non-juge" pour 100.000 habitants quand l'Allemagne en compte 79,6 et le Portugal 73,1.
Depuis maintenant 2 ans, les créations d’emploi de magistrats ont en outre diminué par rapport à 2018 et 2019, et s’élèvent chaque année à 50 postes. A ce rythme, deux siècles seront nécessaires à la France pour atteindre seulement la médiane européenne, sans même parler de rejoindre le niveau de pays dont le PIB est davantage similaire à celui de la France.
Vous trouverez en pièce jointe nos observations détaillées pour chacun des programmes de la mission justice (justice judiciaire, administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse, accès au droit et à la justice, conduite et pilotage de la justice). Nous les avons présentées devant Antoine Lefèvre, rapporteur spécial des crédits de la mission "justice" au sein de la commission des finances du Sénat.
Observations détaillées budget 2022 () Voir la fiche du document